"Andreas Dobler"
Artpress, Paris, juillet-août 2003, p. 86-87
L’exposition personnelle de l’artiste suisse Andreas Dobler, présentée
au Magasin en collaboration avec le Kunsthaus Glarus (Suisse), trace un parcours
de choix dans l’œuvre du peintre depuis 1985. Une cinquantaine d’acryliques
sur toile, d’encres sur papier, de batiks sur tissu affirment une peinture
dynamique et vivifiante dans une exposition qui dresse le tableau atypique d’un
artiste pluriel. Figure polymorphe de l’art, Andreas Dobler a sévi
dans la musique, le théâtre, l’écriture de scénarios
et de pièces. Mais sa constante demeure la peinture. Le jeune Dobler
débute en qualité d’illustrateur pour des revues bon marché
consacrées à la science-fiction. Il restera attaché à
ces représentations mêlant plans géométriques durs
et présences évanescentes molles. Le tableau, en tant qu’objet
présenté et composé, est lui aussi soumis à cette
dichotomie.
La peinture conjugue figuration, torsion surréaliste et matiérisme.
Première rencontre de l’exposition, Drip Zone (acrylique
et laque en bombe sur toile, 1999) reste de ce point de vue une œuvre exemplaire:
sur un plan mappé traité à la bombe et tiré d’un
décor de jeu vidéo, s’extraient deux masses gélatineuses
et sur-présentées par l’épaisseur et la coulure.
Ailleurs, Sheep Pieces on Electric Meadow (encre et laque en bombe
sur papier, 1999), fait référence à une sculpture d’Henry
Moore située a Zürich (Sheep Piece) et joue de la représentation
d’œuvres d’art comme présences organiques molles et
vouées à la mobilité sur un plan quadrillé sec.
De même que la sculpture évoque le corps objet érotisé
(Torso, 1999, ou Sculpture for Captain Bliss, 2001), de même
l’organe devient parfois sculpture ou meuble (Sense Cube, 1988)
et nous renvoie au fantasme de l’artiste de «tirer du néant
quelque chose qui présente de la valeur». Et la valeur, Andreas
Dobler, est produite par le néant, comme les espaces qu’il peint
anéantissent les codes de valeur énoncés. La peinture de
Dobler cherche les limites d’un monde connu ; elle se conjugue et se prolonge
dans une monstruosité consanguine et prospective, dans une exploration
des espaces et des représentations acceptables. L’emploi d’images
et de matériaux référencés dans les rayons convenus
du mauvais goût, du kitch et du pop, pousse nos acceptions à bout.
Le rock tendance hard ou gothic fait, pour Dobler, le syncrétisme des
désirs refoulés, des fantasmes objectivés, des violences
conjuguées et des douleurs sanctifiées. Dobler use de ses attributs
(parfois SM) avec amplitude et ostentation, et la guitare devient objet tantrique.
Sa peinture met à mal d’autres standards : ceux de l’histoire
de l’art (la peinture elle-même, les références à
d’autres artistes) mais aussi les modèles d’ameublement petit-bourgeois
ou les fantasmes prospectifs convenus : des nouveaux territoires spatiaux de
la science-fiction aux dimensions transcendantales de la méditation.
Dobler élabore une fiction spéculative et signe un travail qui
restitue à la peinture une qualité ancienne : celle d’explorer
des espaces vacants.
Nicolas Audureau