"Cosmic trip"
Les Inrockuptibles, Paris, 26 mars -
1 avril 2003, p.71
Le peintre suisse Andreas Dobler livre une critique psychédélique
et sci-fi de la société de consommation. Drôle et grinçant.
Bien ou mal peintes, les toiles d'Andreas Dobler ? Horribles à pleurer
de rire. Susceptibles de déclencher la même panique hilarante qu’un
film d’épouvante et le même dépaysement programmé
qu’une couverture de roman de science-fiction. Car Andreas Dobler connaît
trop les motifs et les ficelles de ces esthétiques bis, pauvrement futuristes,
pour ne pas en rajouter à la louche dans le mauvais goût. L’artiste
suisse se fait même un plaisir d’en repousser les limites et de
se demander en peignant «jusqu’où aller trop loin».
Par exemple, jusqu’où aller trop loin avec le rose fuschia, dont
il éclabousse un arrière-fond en forme de cellule gothique ; avec
le spray orange qui nappe ses horizons interstellaires d’un flou romantique
et acidulé ; avec ces boîtes à œufs ou ces emballages
en polystyrène qu’il représente comme des architectures
martiennes ou de caissons isolants.
Résultat : de la bad painting qui flotte à des années-lumière
de la sphère surchauffée de la peinture, sans avoir pour autant
largué les amarres de l’histoire de l’art. Cet ex-illustrateur
de fanzines SF combine ainsi les visions paranoïaques d’un J.G. Ballard
avec les abstractions électriques d’un Gerhard Richter. Les corps
tronqués qui peuplent parfois ses décors lunaires ne sont, en
somme, qu’une version érotique SM des sculptures modernes de l’Anglais
Henry Moore. Et les giclures roses et gluantes, revival de l’expressionnisme
abstrait, ont ici l’aspect d’“aliens en gestation”,
dixit l’artiste.
Célébrant les épousailles infernales du high et du low-art,
l’artiste s’invente des catégories inconnues. Il titre ainsi
l’esquisse d’un patio antique sur fond de flashes orageux, d’un
Constructivisme transcendantal aussi clinquant et ironique que l’étiquette
«Golden eighties». Dans cette série-là, des objets
du quotidien prennent la forme de blasons débiles ou d’icônes
pour cultes new-age. A l’image de ce tableau, dérisoirement intitulé
Graal, où des tablettes de chocolat en forme de croix sont barrées
de deux Coton-Tige. Une parodie de quête spirituelle au royaume de la
consommation courante.
C’est d’ailleurs là que cette peinture paraît la plus
comique et la plus grinçante, quand Dobler braque vers la sphère
économique les feux pâles de la science-fiction. Le Suisse détourne
ainsi le sigle des eurochèques pour en faire un mandala hypnotique ;
Peint des résidences hôtelières à la manière
des paysages lunaires, vus au début de l’expo : gazon vert fluo
et piscine phosphorescente, ces havres de paix ont tout du piège martien
pour touristes trop confiants ; Et tout devient encore plus clair dans cette
peinture du tirage du Loto : les boules et les tubes qui les crachent ont tout
l’air d’être les produits d’une machine extra-terrestre.
Une critique from outer space.
Judicäel Lavrador