Gino De Dominicis


 

Michel Nuridsany
"Gino De Dominicis, le silencieux"
L'aurore, Paris, 13 mars 1990


Pour la réouverture du Magasin, à Grenoble, rétrospective attendue d'un artiste rare.

La rareté de ses expositions, la savante organisation de ses silences et le talent d'intriguer ont fait de Gino De Dominicis, Italien de 42 ans, une sorte d'artiste culte. C'est avec cette star mystérieuse et convoitée que le Magasin de Grenoble fête sa réouverture.
Ce centre d'art contemporain imaginatif, audacieux, était devenu l'un des tout premiers d'Europe. La mort de Jacques Guillot, son directeur, allait-elle mettre un terme à l'aventure? On a pu le croire un moment. La nomination d'Adelina von Furstenberg, la très dynamique directrice de la Kunsthalle de Genève, heureusement, a rassuré tout le monde. Quant au programme mis en place, à la reprise en main et à la réactivation des activités du centre, effectuées en quelques mois, au nouvel élan donné d'emblée par la nouvelle direction, ils permettent de bien augurer de l'avenir.
Pour autant l'exposition inaugurale, mélange de toiles, d'objets, d'installations, répond-elle à notre attente? En partie. Le projet, dans son souci de voir, l'art renouer le dialogue avec les grands mythes qui relient l'homme au cosmos, est des plus séduisants. L'exposition s'ouvre d'ailleurs sur un décor gris neutre, envahi d'ombres impressionnantes, qui nous introduit dans un espace métaphysique proche de celui de Chirico et se termine par a découverte énorme, fabuleuse, du squelette d'un géant, souvenir mythique du règne des mastodontes qui hantent les légendes ou encore de ce, passage étrange de la Genèse où les anges viennent s'accoupler aux filles des hommes qui enfantent des géants. Ici l'étonnement panique ouvre sur la nuit de l'indicible, se fond en beauté.
Dans l'entre-deux voici la lance qui perce la pierre, commune à tous les récits d'origine guerrière, germaniques, celtiques, scandinaves, des figures vaguement égyptiennes qui glissent dans le domaine de l'illustration populaire. Un nez un peu long, caricatural (celui de l'artiste?), vient affubler telle figure de divinité sumérienne, orne même le crâne du grand squelette et presque toutes les figures. Dérive d'humour dans le grand nocturne des mythes, référence au Pinocchio italien, petit Golem un peu ridicule dont le nez s'allonge lorsqu'il ment, métaphore peut-être de artiste, ce menteur qui substitue son imaginaire à la réalité du monde.
L'ennui c'est qu'à l'intérieur de son oeuvre De Dominicis est aussi bavard qu'il est silencieux autrement. Que le littéraire guette, que l'anecdotique rôde, que parfois, et même souvent, le trait est mou, illustratif, pas si loin que cela de celui de Trémois, comme dans ce tableau intitulé Urvasi et Gilgamesh, montrant à gauche un jeune homme, à droite un vieillard et au milieu le diamant de l'éternité, genre 2001, l'Odyssée de l'espace. Tout cela appuyé, souligné, lourd, lourd.
Alors faiseur ou artiste inspiré ce De Dominicis? Ou encore truqueur happé par les prodiges, les illusions qu'il sécrète? L'exposition laisse un curieux sentiment d'insatisfaction, de malaise. D'autant plus, peut-être, qu'au cours de la soirée, où de nombreuses galeries italiennes étaient présentes (à propos combien de galeries françaises se déplacent quand un artiste français expose à l'étranger?), on ne parlait finalement que d'une chose, du prix des oeuvres:
3 millions de francs pièce. C'était au tour des visiteurs et des amateurs d'art de devenir muets, silencieux.