Gino De Dominicis


 

J.L. Norvil
"L'éternité dans un os"
Grenoble mensuel, Grenoble, avril 1990


Rude tâche que de présenter Gino de Dominicis ! Ce que nous savons de lui, grâce au « press-book », c'est qu'il a 42 ans, vit et travaille à Rome, par deux fois a participé à la Biennale de Venise et a reçu en 1985 le Prix international de la Biennale de Paris. Bien peu de choses... cependant la critique internationale est quasi unanime et salue son immense talent.
Gino de Dominicis se caractérise par son refus farouche de toute communication. II interdit toute publication, livre ou catalogue sur son travail. Même les photographies de ses oeuvres ne devraient pas porter de nom en légende : c'est seulement un cliché dont le seul responsable est le photographe. D'une manière générale, l'artiste n'est jamais d'accord - par principe - avec l'interprétation ou le commentaire d'autrui. L'oeuvre existe en tant que telle il faut la voir; un point c'est tout.
En effet, devant une toile, sans titre, uniformément bleue sur laquelle un trait brisé d'un bleu plus clair, presque fluo, suggère le profil d'un humain, se terminant vers le bas par une main, et vers le haut par un pentagone suggérant un crâne tronçonné, décalotté par quelque massacreur au cimeterre, l'émotion est étrange. Ce profil, stylisé à l'extrême (plus que ceux d'un Chirico) peut être à la fois, une sculpture peinte, un fantôme, le portrait d'une femme aimée. Si vous demandez à l'artiste ce que représente ce motif, il vous répondra « un profil ». C'est clair, non ? Seulement la force de Dominicis, dans sa stratégie de mutisme absolu, vous indique aussitôt que, au-delà de ce corps, il y a l'âme, et son immortalité, qui sont ainsi cristallisées. Une simple figure se transcende en immanence et illumination.
Idem pour son squelette géant. Lucie agrandie ? Homme-dinosaure ? Gilgamesh (celui qui rencontra Noé) endormi ? Qu'importe, devant ces os blancs qui semblent flotter dans une intemporalité, le spectateur est invité au recueillement il a envie de réciter quelque sûtra à l'évocation des défunts. Mais ce squelette humain n'est pas d'une reconstitution réaliste : il a un os nasal à mi-chemin entre le masque de la commedia dell'arte et l'étui cachesexe de quelque peuplade amazonienne. Ce petit os - autre caractéristique de Dominicis - incite à une pluralité de lecture, de la même façon qu'un unique objet dans le dictionnaire des symboles renvoie à une centaine d'explications possibles. D'autant plus que ce squelette (créé pour l'exposition grenobloise) renvoie à celui, réel d'un adolescent, gisant à terre, avec à ses pieds des patins à roulettes et tenant en laisse le squelette d'un chien; les patins évoquant le temps qui passe, et les squelettes ce qui reste par-delà la mort.
Adelina von Furstenberg, directrice du CNAC, est visiblement très satisfaite de réaliser cette expo personnelle de Dominicis en France. Elle qui voulait une exposition inédite peut se dire comblée. « Il y a dix ans, j'ai invité Gino à travailler avec moi. Je le connais depuis ses débuts en 1965. II fait donc partie des artistes de la génération des années 60-70, mais sans appartenir à aucun groupe (par ex. arte povera) ni subir aucune influence. II m'avait dit à l'époque : «Oui, mais dans dix ans...» Je me suis rappelé cette phrase. J'ai foncé à Rome, en lui disant que c'était pour la nouvelle décade - car ces dernières années, il a refusé plusieurs propositions, notamment en Allemagne. Toujours cette méfiance de l'institution, de l'encadrement. Finalement, il a accepté. »
En tout cas, en présentant Gino de Dominicis à Grenoble, le Magasin a encore frappé un coup retentissant, qui a de grandes chances de perdurer... car l'âme, comme chacun le sait, est immortelle.