Jonathan Meese, Mama Johnny
"Danger en majesté"
Le Figaro Magazine, Paris, 18 au 24 novembre 2006
KADER ATTIA A 36 ANS. Ses oeuvres, connues de Bâle â Venise et de
Canton à Miami, cultivaient jusqu'à présent avec une ironie
dévastatrice un symbolisme immédiat et théâtral, qui
dénonçait l'extrémisme religieux et le consumérisme
moutonnier - à son sens cyniquement plantés dans le terreau des
illusions mort-nées. Elles étaient empreintes du violent désir
de convaincre: il y avait par exemple de la rage dans ces enfants de tissu grandeur
nature, emplis de graines qu'en trois mois les pigeons déchiquetaient
et dévoraient (Biennale de Lyon, 2005).
Tsunami, l'installation monumentale que Kader Attia présente au Magasin
de Grenoble marque un changement de registre profond. Dépouillée,
elle est une silencieuse allégorie du tragique. L'artiste dépasse
désormais le commentaire social et, de la vague monstrueuse qui, en 2004,
laissa près de 300 000 morts sur les rives de l'océan Indien, il
fait une figure du Destin. Tsunami, réalisé in situ, laisse le
visiteur immobile de stupeur, au bord du vertige : au milieu de la longue nef
1900 des ateliers Eiffel, presque jusqu'aux verrières, à 13 mètres
de haut (hauteur réelle de la déferlante), s'élève
un rideau d'aluminium ondulé qui vient en deux crêtes successives
mourir 40 mètres plus loin. Le métal vibre dans la lumière
comme l'eau sous le ciel, son évidente légèreté fait
craindre son écroulement. L'installation n'étant pas de celles
qui se laissent distraitement regarder, il convient d'aller la voir dans sa blancheur
implacable un quart d'heure avant que la lumière du jour ne commence à faiblir.
L'ombre gagne ensuite doucement, moire les surfaces de doré mouvant et
de gris chaud, apprivoise lentement une obscurité qui laisse soulagé et
inquiet: le raz de marée est-il vraiment évité ? Le grondement
de l'autoroute ressemble tant à celui du flot... Oeuvre monumentale (600
mètres carrés) dépourvue de grandiloquence, qui fait méditer
sur l'instabilité du monde et la puissance des forces naturelles, dont
les dimensions extrêmes sont à l'échelle du lieu qui l'accueille,
Tsunami est déjà une oeuvre de maturité.
Béatrice Comte