Jonathan Meese, Mama Johnny

 


«Jonathan Meese - Mama Johnny»
Archistorm, Paris, Novembre / décembre 2006 , p.12/13


PEINTURES, SCULPTURES, INSTALLATIONS, PERFORMANCES, DÉCORS DE THÉÂTRE, COLLAGES ET VIDÉOS: BOULIMIQUE ET RADICAL, JONATHAN MEESE CRÉE UN UNIVERS VIOLENT ET LUDIQUE, OÙ SE MÊLENT FIGURES DE DICTATEURS, PERSONNAGES DE SCIENCE - FICTION, SYMBOLES RELIGIEUX, HÉROS DE FILM OU ANIMAUX MONSTRUEUX.

Neuf mois après sa performance remarquée au Magasin, Jonathan Messe revient avec une exposition qui présente pour la première fois en France, un ensemble important de ses oeuvres. Ce jeune artiste allemand de 35 ans, grand, longue chevelure brune, barbe, baskets, et veste Adidas noire, à l'apparence inédite est à l'image de ses oeuvres: troublant et parfois inquiétant.

Jonathan Meese a un objectif : produire et provoquer - peu lui importe que ce soit réussi ou non - "L'essentiel, c'est de risquer quelque chose". La morale est absente de ses oeuvres, le bien et le mal sont des notions relatives. Par un abîme de références, de tableaux, d'installations, de statements écrits â l'aide d'une écriture énergétique, de photomontages, l'artiste élabore un univers baroque où le chaos règne en maître. Ses sculptures en bronze aux influences picassiennes et primitives lorgnant également du côté de l'heroic-fantasy et de la science fiction, ses peintures à l'épaisse couche picturale qui semblent ne jamais sécher comme ses photomontages emprunts de brainstorming et de «zapping» entre les thèmes, genres et médias, toutes ces réalisations témoignent d'une grande efficacité formelle. Quand on s'éloigne, c'est une figure animale ou humaine ou un peu des deux, toujours un peu noire même si les couleurs sont vives ou claires. On pense alors à Baselitz, et parfois à Munch, des artistes qui ont travaillé la figure humaine en peinture, qui ont montré des visions particulières de I' humain. Ces oeuvres dégagent une atmosphère énigmatique, leur sens demeurant ouvert à la manière d'une fiction.

Jonathan Meese comme un collectionneur maniaque extrait de ses tableaux et de ses sculptures leur réalité pour les placer dans un tout autre contexte. Il élabore ainsi en solitaire un panthéon de figures sombres de l'histoire du monde comme Néron, Caligula, Hitler, Staline, Pol Pot, Wagner ou de fiction comme les héros de certains films étranges et culte: Zed dans Zardoz, Conan le Barbare, Fantomas, James Bond contre Dr No, Alex de Large dans Orange mécanique... Pour Messe, «ces personnages existent par eux- mêmes et se sont transformés en leurs propres lois, de telle sorte que leurs noms sont devenus des lois. Ils ne peuvent être réduits: ils sont - bons ou mauvais - complets. Ces personnalités hors du commun ont joué carte sur table, ont tout risqué et se sont lancées à corps perdu dans l 'existence. Qu'elles soient sombres ou lumineuses ne comptent pas pour l'Art ». A voir...

Il est impossible d'aborder cette exposition sans être confronté à la question de la position de l'artiste autant qu'à la réalité de l'oeuvre. A Hambourg (ville où il a étudié les Beaux Arts) comme à Düsseldorf, les cafés, les concerts sont aussi importants que les Ecoles. Comme dans de nombreuses périodes de l'art moderne, l'art est aussi affaire de rencontres et de groupes et ainsi, le modèle de l'artiste est beaucoup plus le groupe rock, punk, ou plus récemment le DJ. La scène est une sorte de nébuleuse, en mouvement constant, dont la souple structure semble modeler les oeuvres elles-mêmes, ce qui peut être perceptible dans son travail en collaboration avec les peintres allemands: Albert Oehlen, Jörg Immendorff, Daniel Richter.

Contrairement à la fenêtre classique, la peinture contemporaine des "young German artists" est un écran. Presque tous les artistes utilisent des sources comme la photographie, les images de presse. Mais I' une des aventures tentées par ces peintres s' exprime dans le retour à la narration. La peinture, c'est aussi l'écran dans lequel peut s'inscrire le croisement des références tel le réemploi par Jonathan Meese d' une "germanitude" nietzschéenne.
La notion de sur-homme chez Nietzsche a souvent fait l'objet d'interprétations erronées dans I' oeuvre de Jonathan Meese, car son propos principal est bien la tentative désespérée, parfois agressive, de reconsidérer un mythe allemand, et dans le même temps de le détruire à l'aide du pathos qui lui est inhérent.

Clément Nouet