Jonathan Meese, Mama Johnny
"Jonathan Meese sur la face sombre"
Le Journal des arts, Paris, 1 au 14 décembre 2006, p.12
Né à Tokyo mais loin d'être zen, Jonathan Meese expose
au Magasin de Grenoble
A-t-on atterri dans l'antichambre de Charles Manson, le fameux tueur
en série des années 1970? Au Magasin de Grenoble, la première
salle de l'exposition de Jonathan Meese donne la couleur: du noir et blanc bordé d'un
rouge carmin. Les pulsations du visiteur s'accélèrent à la
vue d'une série d'affiches nerveusement placardées au mur et agrémentées
de symboles et de textes que l'on devine écrits avec du sang ou badigeonnés à l'aide
d'un épais pinceau trempé à la hâte. Car si Meese
a des allures de tueur gothico-punk, c'est bien vers l'art que toute sa sauvage énergie
est tournée. Love, Hate, Révolution, Final cut, des croix de toutes
sortes, des signes cabalistiques, des slogans... Les portraits se croisent au
mur: Emma Peel, John Lennon et Yoko Ono, Klaus Kinski, Orson Welles... des personnages-clés
dans l'imaginaire de l'artiste. Mais, apparaît aussi la photographie de
Madame Meese en personne. Son fils Jonathan s'est représenté avec
humour par le moyen d'une statuette en bronze. Il se dresse au garde-à-vous
au centre de cette installation. L'artiste pratique autant le portrait et l'autoportrait
que l'usage de la référence et de l'autocitation. Il n'est pas
rare de le croiser en compagnie de Dark Vador, issu du film La guerre des étoiles,d'un
des personnages d'Orange Mécanique de Kubrick, de Caligula, Remus
et Romulus, de Sade ou Staline. Fantomas croise Napoléon, Docteur No converse
avec Saint -Just et des sculptures priapiques défient de toute leur vigueur
des têtes de mort. Meese ne craint pas le mauvais goût, ni les ébats,
ni les débats politiquement tendancieux. Personnages cultes, sulfureux,
traversés d'une sorte d'aura ou même dictateurs, sexe, croix gammées,
squelettes et cocaïne, tout est ingéré et digéré dans
cette oeuvre qui s'offre
comme un flux permanent.
Né à Tokyo, mais loin d'être zen esthétiquement, cet
artiste berlinois ayant grandi aux États-Unis représente la version
exubérante et décomplexée de l'art germanique. Loin de l'art
minimal et conceptuel de mise en Allemagne depuis les années 1970, il
expose un grand bazar d'oeuvres picturales, d'objets glanés ici et là,
de sculptures figuratives ou au contraire totalement informes, oeuvres expressionnistes
ou surréalistes... Ce trentenaire à l'énergie débordante
tient davantage de Kippenherger, Immendorf ou Albert 0ehlen que de Thomas Struth
ou des époux Becher.
Son fatras savamment orchestré se laisse parcourir à travers les
différentes salles de cette immense exposition grenobloise intitulée «Mama
Johnny». Un clin d'oeil à la mère de l'artiste qui ne lâcherait
pas son fils adoré d'une semelle ? Meese ne manque pas d'humour et d'autodérision.
L'une des salles représente le joyeux capharnaüm qui lui servit d'atelier à Hambourg.
Une autre met en scène ses diverses collaborations artistiques, par exemple,
avec Daniel Richter. Meese ne cesse d'être au centre de ses installations.
II est représenté en peinture, en photo, en sculpture... Metteur
en scène mais aussi acteur, cet hyper actif a transformé l'auditorium
du Magasin: la salle est occupée par diverses scènes ponctuant
une représentation barocco-expressionniste qui sera prochainement présentée
au Palais de Chaillot, à Paris.
Bizarrement, sa précédente exposition personnelle en France, à la
galerie Templon, en septembre dernier, donnait une vision très limitée
de son oeuvre, comme si celle-ci résistait à l'espace conventionnel
et classique de la galerie. A Grenoble, la vivacité exemplaire de ce travail
explose dans chaque salle. Les références se propagent, les formes
se répondent. Qu'il apprécie ou non le travail de Jonathan Meese,
le visiteur risque d'être captivé par son hyperactivité,
même s'il pourra avoir du mal à trouver un équilibre entre
les deux versants de la force.
Anaïd Demir