Jonathan Meese, Mama Johnny

 


« Tsunami pour le temps présent »
L'humanité, Paris, 24 octobre 2006

Au Magasin, à Grenoble, Kader Attia présente une oeuvre au coeur des menaces du monde. Jonathan Messe évoque ses fantasmes et les délires du pouvoir.

"Je ne suis pas là pour séduire", déclarait récemment Kader Attia dans un entretien. Comme un écho, à près d'un siècle de distance, de cette phrase de Max Ernst après la guerre de 14 où il était au front: "Après ce que nous avions vécu, nos oeuvres de cette époque n'étaient pas faites pour séduire mais pour faire hurler." Ce n'est en rien renvoyer ces propos au passé mais bien au contraire leur donner toute leur actualité. A trente-six ans, Kader Attia est de ceux dont on parle, non seulement en raison d'un parcours atypique, mais parce qu'il est désormais présent un peu partout, là où se fait l'art d'aujourd'hui et là, plus encore, où il interroge notre temps. Ce n'est pas sans choquer, pas sans violence. A la dernière biennale de Lyon, il avait exposé une très grande cage où des mannequins d'enfants, réalisés en graines pour oiseaux, étaient au fil des jours mangés par les pigeons vivants qui voletaient dans la cage. En 2005, avec Childhood, il crée chez le spectateur un terrible malaise avec un toboggan pour enfants rose comme un bonbon, mais hérissé ça et là de lames de rasoir. En 2006, il crée une installation de moucharabiehs réalisés avec des menottes de la police. Arabesques dessine un poème mural avec des matraques, Big Bang, en 2005, fait se rencontrer dans une sphère suspendue, les étoiles de David et les croissants de l'islam.

LA VAGUE D'AUJOURD'HUI
Mais avec Tsunami, au Magasin donc, à Grenoble, Kader Attia semble être allé plus loin encore. On ne savait pas, avant d'avoir découvert l' oeuvre, ce qu'elle pouvait être. Que faire avec une telle catastrophe sinon du discours de trop, superfétatoire, à la fois emphatique et vain? Mais il s'agit là de tout autre chose. Dès l'entrée dans le vaste espace du Magasin, ancienne usine devenue Centre national d'art contemporain, on reçoit le choc de cette énorme vague en tôle ondulée brillante dont les crêtes sont marquées par des néons. Il ne s'agit pas là d'une tentative de représentation de la catastrophe mais de la vague menaçante qui naît de l'état du monde même. Le tsunami, on le sait, quand bien même il était une catastrophe naturelle, n'avait pas, si l'on peut dire, déferlé n'importe où. La vague d'aujourd'hui a nom mondialisation, faim, sous-développement, bombardements des populations civiles, ou encore ce qu'endurent ces dizaines de milliers de personnes qui, à Lubumbashi, dit Kader Attia, vivent sous des centaines de kilomètres carrés de tôle ondulée, comme une mer, dans le plus extrême dénuement. Dans le même temps, maîtrisant totalement les enjeux de cette nouvelle installation, Kader Attia en revendique tout autant la qualité plastique, à la fois monumentale et minimale. Une qualité plastique qui est la condition même de son efficacité. Car cette vague effraie, intimement, elle éveille les nouvelles peurs de ce siècle commencé d'une certaine manière le 11 septembre 2001, quand des centaines de millions d'hommes médusés ont vu naître un autre monde, devant l'impensable.
L'installation de Grenoble est le deuxième volet d'une exposition en deux temps, conçue par Thierry Raspail, le directeur du musée d'Art contemporain de Lyon, et Yves Aupetitallot, le directeur du Magasin. A Lyon, au début de l'été, Kader Attia présentait à la fois ses Moucharabiehs en menottes et Fridges, une salle entière remplie de frigos sur lesquels étaient dessinées les milliers de fenêtres des immeubles des grands ensembles. Une salle entraînant le visiteur dans cet univers central d'aujourd'hui que sont les banlieues. Kader Attia est né à Dugny. Il a grandi à Sarcelles, il a aussi bien travaillé sur les marchés que fait les écoles d'art en fréquentant le Louvre. régulièrement, dès ses treize ans. Peu d'artistes d'aujourd'hui ont en tout cas une telle capacité à interroger notre monde, notre conscience avec toute la force de la création. Kader Attia est de ceux-là.

UN PANTHEON DE STARS AFFICHÉES AU MUR
Dans un autre registre, le Magasin présente également un ensemble abondant de Jonathan Meese, artiste allemand de la même génération. Meese, dans la veine très allumée d'un post-expressionnisme violent, joue de la provocation, de l'humour, de la dérision pour convoquer un ensemble de créatures fantastiques ou monstrueuses mais aussi les images des dictateurs et des fous du pouvoir, de Caligula à nos jours. Pour lui, dit-il dans un paradoxe, l'art peut être tout sauf la réalité. Mais il n'en renvoie pas moins, dans cet excès de l'imaginaire, aux tensions bien réelles de l'être, à une sorte de théâtre de la cruauté qui serait aussi notre monde, non sans allusions assez claires quand on veut bien les lire. Ainsi, dans son panthéon de stars affichées aux murs, une image, entre autres, de Martin Von Essenbeck, l'un des personnages essentiels des Damnés de Visconti. Jonathan Meese, avec des qualités plastiques là aussi exceptionnelles. Il sait très bien ce qu'il fait.

Maurice Ulrich