Jonathan Meese, Mama Johnny

 


"Kader Attia est un tsunami"
Sortir - le Dauphiné Libéré, Grenoble, 29 novembre au 6 décembre 2006, p.11


Rien ne l'intéresse autant que de travailler, il n'a toutefois rien d'un ermite, et son atelier ne ressemble pas à la tour d'ivoire dans laquelle l'artiste - maudit ou pas - se serait retiré.
En tout cas, Kader Attia n'est ni ne se dit maudit. A l'écouter, voire à l'entendre, ce serait même plutôt l'inverse. "L'homme crée des choses, mais c'est le vide qui leur donne sens" aime-t-il à répéter, se référant à Lao-Tseu.
Dans le monde, hic et nunc, ici et maintenant, Kader Attia a le bon goût de cultiver l'immanence sur un mode quasi transcendantal: " Tout artiste est en religion avec son travail ", insiste-t-il encore, argumentant: " Que vous soyez connu ou pas, ce qui fait avancer, c'est une croyance. C'est la dévotion qu'a eu Mondrian pendant trente-cinq ans pour son travail".
Et il ne cache pas sa satisfaction devant le fait que Thierry Raspail, directeur du Musée d'art contemporain de Lyon et Grenoblois d'origine, lui ait un jour lancé: " Tu es un des rares artistes qui n'a pas peur de l'épure dans le travail".
Cela tombe bien car ce qui intéresse Kader Attia qui, comme Antoine de Galbert, déploie " un certain académisme de l'art contemporain ", c'est d'aller évidemment au coeur du problème.
"Evidemment" signifiant en l'occurrence, ce que l'on a hélas un peu oublié, " de façon évidente ".

Il y eut donc la Biennale d'art contemporain. Puis, toujours à Lyon, ces moucharabiehs avec des menottes, ces squelettes de parapluie envahissant le Musée d'art contemporain, juste avant ce Tsunami déferlant dans "la rue" du Magasin. Du bruit comme de l'écume des jours, Kader Attia n'a que faire. De la " mousse médiatique " encore moins. Retour sur un phénomène.

Qu'est-ce qui vous pousse aujourd'hui ?
Plus que jamais, les artistes doivent être en connexion avec la réalité! Les gens qui m'approchent, c'est la " ménagère de moins de cinquante ans " comme l'on dit, et c'est rassurant de voir ça. L'art ne doit pas être élitiste, et l'art contemporain baigne trop dans l'académisme. J'ai envie de revenir au public. Je veux emmener le spectateur sur une réflexion. Comme avec ce " Tsunami ", l'art doit montrer d'autres catastrophes cachées. Le désastre, c'est " Comment en est-on arrivé là? ". Par des négligences. Les hommes politiques ne peuvent pas faire de réformes. Ils sont pieds et poings liés. L'art est quelque chose de public qui doit s'adresser aux ménagères, pas aux philosophes.

Un art radical et minimaliste ?
A la fois radical et minimaliste, et bien d'autres choses encore. Il faut emmener le spectateur sur le chemin de la dureté du monde, à la conquête et à la reconquête du monde. Vous savez, je partage mon temps entre la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et Israël. Un film comme « Nine eleven» est très révélateur de l'après 11 septembre. Chez eux, c'est pire que Pearl Harbour. On va s'en rendre compte et on ne l'a pas vu venir. Quand je suis chez eux, je me dis qu'on a une télévision qui tient la route. Il ne s'agit pas d'être pro-ceci ou anti-cela; on survole. Les Américains ont une logique messianique. Ils sont dans le bien et dans le mal.

Que retenez-vous de ce partage entre quatre pays ?
Eh bien il est assez surprenant de voir qu'à New York, Boston et Haïfa, ils connaissent «Le Magasin», ils savent où c'est. Je vais très souvent en Israël et c'est un pays impressionnant! En revanche, ce sera perçu de façon différente alors que, pour moi, l'art doit être perçu de façon universelle. C'est souhaitable, possible et surtout nécessaire.

Comment analysez-vous votre parcours, surtout depuis la Biennale d'art contemporain de Lyon où l'une de vos oeuvres a tant fait couler d'encre ?
Cela m'a surpris! Mais cette oeuvre m'a fait connaître d'un plus grand nombre. C'est très important de se jouer de son image quand on est un artiste. Ce n'est pas la notoriété qui restera ; c'est le travail, l'oeuvre! L'art, c'est se montrer. Et la meilleure façon de se montrer, c'est d'être clair. J'utilise vraiment mon travail comme un laboratoire. L'art, c'est un peu comme la cuisine; une oeuvre d'art, c'est raconter toujours la même chose, mais de façon toujours différente et avec des ingrédients encore différents. On ne peut pas faire le même plat toute sa vie, mais on peut faire un chef d'oeuvre. En attendant, c'est toujours la même tambouille. Mon atelier, c'est ma cuisine.

Propos recueillis par Philippe Gonnet