Allen Ruppersberg
"Où est Al? Troisième exposition du Centre national
d'art contemporain depuis la nomination du nouveau directeur"
Les Affiches de Grenoble, Grenoble, 25 octobre
1996,
page 33
Du 19 octobre 1996 au 5 janvier 1997 au Magasin, site Bouchayer-Viallet,
155, cours Berriat à Grenoble
OU EST AL? Troisième exposition du Centre national d'art contemporain
depuis la nomination du nouveau directeur Yves AUPETITALLOT, la rétrospective
de l'artiste Américain Allen RUPPERSBERG a des allures de labyrinthe.
Pour rédiger trois lignes sur la nouvelle exposition du magasin, il
aura fallu d'abord errer de longues minutes dans les salles où sont
rassemblées les oeuvres d'Allen Ruppersberg. Puis, devant un dramatique
constat d'ignorance, ou plutôt d'une vague sensation d'illettrisme, il
aura fallu chercher à la source de quelque catalogue, cette indispensable
clé qui permet, sinon de comprendre, du moins de tenter de comprendre.
Allen Ruppersberg, citoyen d'Outre-Atlantique, né en 1944 à Cleveland
dans l'Ohio, fait partie de la génération des artistes conceptuels:
vaste famille de créateurs, née dans les années soixante,
qui font de l'art sans oeuvres ou du moins des oeuvres où l'idée
prime largement sur la fabrication de l'objet (notion floue ici). En ce sens,
ne parlons pas en termes de peinture ou de sculpture, valeurs plus ou moins
considérées comme désuètes par ces derniers, mais
parlons plutôt de communication interactive et de réflexion profonde
sur les signes qui gouvernent le monde contemporain. L'artiste, ancré dans
son époque, s'intéresse aux grandes problématiques que
sont l'Histoire, le langage, la civilisation occidentale, la mémoire;
il s'interroge sur son propre rôle social et sur sa propre identité.
Il se définit moins comme auteur que comme « lecteur qui projette
sa voix dans les oeuvres pour que d'autres lisent à leur tour» et
c'est bien en terme de lecture qu'il faut chercher la signification de ces
oeuvres d'arpenteur de symptômes sociaux. En clair, cela donne chez Ruppersberg
des créations tous azimuts, sans cesse renouvelées par un foisonnement
d'idées rare. Fortement préoccupé par la Littérature,
ce sont par exemple 20 toiles manuscrites où se trouve recopié dans
son intégralité le « Portrait de Dorian Gray » d'Oscar
Wilde. Ou bien c'est une installation d'une centaine de livres invendus posés
sur une table, ou bien ce sont encore des ouvrages classiques, cette fois dessinés,
dont le droit à la propriété ne sera effectif qu'à la
mort de l'artiste. Allen Ruppersberg se met souvent en scène. L'oeuvre
prend alors une dimension autobiographique plus évidente. C'est le cas
d' « Où est Al » qui donne son nom à l'exposition
et qui livre une série de photographies-souvenirs où les dialogues
des personnages sont une recherche de l'auteur. C'est le cas aussi du « Secret
de la vie et de la mort » qui présente cinq panneaux mêlant
photographies de livres ouverts et fragments de phrases écrites par
l'artiste, le tout dans un désordre étudié. Les oeuvres
qui jonchent le sol ou occupent les murs du Magasin sont très nombreuses
(76 au total) ; rappelons qu'il s'agit d'une importante rétrospective,
la première en France. On ressort de sa courageuse visite avec l'impression
d'avoir eu à faire avec un grand prestidigitateur. On regrette malheureusement
la barrière de la langue qui exclut tous ceux qui ne sont pas anglophones
; cet art là, tout en discours, n'étant hélas pas universel
mais bien furieusement élitiste.
Philippe Brun