La Consolation
«Console-nous…»
Les Petites Affiches Lyonnaises, Lyon, 24 mars 1999, p.14
Le magasin de Grenoble présente une exposition d'artistes flamands. Le
titre de la consolation évoque un esprit de dérision proche de
l’oeuvre de James Ensor. Bien que mort, cet artiste fait
parti de la manifestation et il lui donne, en quelque sorte, sa couleur particulière.
Dans un atelier aux teintes claires, un artiste en costume bleu et cravate peint.
Scènes intimes, de repos et de travail, les auto-portraits ne manquent
pas dans l'histoire de l'art. L'atelier est un lieu de création où
les peintres aiment à se représenter.
Mais dans ce tableau de James Ensor, la tête est en fait un crâne,
on ne voit pas les mains et on ne sait si un squelette tout entier ne se cacherait
pas sous les plis du tissu.
Cette oeuvre de 1896, aussi étrange que cela puisse paraître, fait
partie de l'exposition consacrée à l'art contemporain en Flandres.
Oeuvre historique s'il en est, on serait en droit de se demander le bien-fondé
de sa présence dans une telle manifestation. Elle sert à donner
le ton. Un ton empreint de mélancolie et de tristesse et qui explique
son titre "La Consolation". L'art comme la consolation contre la mort
et le néant, une consolation ironique où le jeu des apparences
tient sa place.
A l'entrée du magasin, un corps de femme grandeur nature se tient recroquevillé
sur lui-même, ses cheveux cachent son visage, position de détresse
évidente : c'est pourtant elle qui accueille les visiteurs.
Cette oeuvre est signée Jan van Oost. On retrouvera
cette mise en scène du désespoir tout au long de ce parcours particulier
avec l'homme-clou ou Gargantua par exemple, des installations qui mêlent
le macabre au sourire.
Si James Ensor sert de fil conducteur, c'est justement pour son attitude pleine
de distance par rapport à l'horreur. Ses squelettes dansent comme un
pied de nez à l'éternité.
C'est ce mélange d'humour et de mort qui émergent des oeuvres
exposées ici. L'homme-clou de Jan Fabre est une installation
où un homme est attablé. Son corps et son chapeau melon sont recouverts
de punaises dorées, lui donnant un petit air d'objet de valeur. Il brille
de toutes ses pointes, la violence s'accompagne de séduction mais, pourtant,
elle est bien là. Les pieds de l'homme, de la table et de la chaise sont
enveloppés de tranches de jambon cru. Une pellicule de cellophane les
maintient aussi serrés que des jarretières. Le jambon est réel,
donc périssable, donc susceptible de se décomposer sous nos yeux
!
Tant de bonne volonté à montrer la mort au travail dissipe les
doutes que provoque le premier regard. Derrière l'éclat des milliers
de clous, le temps se révèle un impitoyable adversaire.
Gargantua de Thierry de Cordier relève du même
principe, une panse trop grosse semble s'être fissurée, les entrailles
débordent. Nous sommes entre la naissance et la mort, les fentes en rappellent
d'autres et le jeu des formes nous livre immédiatement du sens. Ce qui
est sale paraît drôle, ce qui est drôle ne l'est pas vraiment,
les artistes glissent sur les objets entre le rêve et la réalité.
Cette confrontation toujours mise en scène provoque cette émouvante
et grinçante consolation.
La jeune femme assise dans son fauteuil de Panamarenko a beau
prendre une pose sexy, elle exhibe surtout les coutures qui ont construit ce
corps charmant… Heureusement, l'exposition se termine par le grand "spectacle"
de Honoré d'O.
Plastique coloré, éponges, bidules et trucs en tout genre s'amoncellent
le long de ficelle aérienne. L'enchevêtrement est à son
comble, il est jubilatoire, ces petites choses fragiles fabriquent de la poésie,
la poésie en devient matière. Une matière qui est, si on
prend la peine de le sentir, la base de toutes ces créations venues de
ce pays froid. Magritte n'a pas été invité, mais son ombre
plane sur l'exposition.
Hauviette Bethemont