Jack Goldstein


 

"De la distance, de l'absence et de la déception"
Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, Grenoble, 1 mars 2002, p. 109

Il a signé des films qu'il n'a pas tournés lui-même, des tableaux qu'il n'a pas peints de sa main, des performances qu'il a fait interpréter par d'autres et des disques dont il a puisé la matière dans des banques d'effets sonores. À l'instar d'Andy WARHOL qui appelait son atelier «l'usine» (the Factory), Jack GOLDSTEIN se considère moins comme un artiste que comme un producteur - y compris au sens de producteur de cinéma. Partant du principe que, dans son oeuvre, «il est plus question d'un contenu que d'une forme», il laisse le soin à d'autres de réaliser matériellement ce qu'il a conçu intellectuellement. C'est un tenant de l'art conceptuel, qui ne se fait guère d'illusions sur la place de l'individu (c'est-à-dire de l'auteur) dans notre société du spectacle et de la culture de masse. Moyennant quoi - une fois l'auteur ôté -, GOLDSTEIN s'approprie (un peu à la façon du pop art) des morceaux de l'iconographie collective, qu'il fait siens.
Né en 1945 à Montréal, mais établi à Los Angeles, Jack GOLDSTEIN a entamé sa carrière, à la fin des années 60, par un démarquage moqueur de l'art minimal, avec des sculptures qui se jouaient des lois de la gravité et qui, entre autres, pastichaient avec brio les agencements de modules de bois de Carl ANDRE. Très vite, cependant, il se consacrera aux performances, puis au cinéma - précisant que, dans son esprit, les films sont également des performances, mais qui tiennent le public à distance. Cette notion de distance, du reste, intervient à double titre, puisque, à l'éloignement que l'artiste impose au public, il ajoute son propre détachement. Se tenant à l'écart de sa création, il procède en sorte que ses performances soient exécutées par des professionnels (contorsionniste, cracheur de feu, sportif, etc.) et ses films réalisés par des techniciens (caméraman ou animateur). Si bien que, lorsqu'il franchira le pas de la peinture sur toile, au début des années 80, il ne procédera guère différemment.
Peints à l'aérographe par des illustrateurs commerciaux, les tableaux de GOLDSTEIN empruntent directement leurs motifs aux photographies d'archives auxquelles ont recours les médias (de même que ses disques en vinyle contiennent des sons puisés dans les catalogues de bruitages et d'effets spéciaux). Représentations se référant explicitement à d'autres représentations, ces peintures sont des images d'images: doublement fantômes, donc.
Les tableaux de ce praticien d'un art froid, désincarné, privilégient le spectacle de la nature, mais un spectacle médiatisé, impossible à observer sans artifice technologique. Ayant notamment recours à l'imagerie microscopique, télescopique ou électromagnétique, il fige la zébrure d'un éclair ou l'éruption d'un volcan, donne à voir le mouvement des étoiles dans le ciel, s'approche à l'extrême du grain de la peau d'un enfant. Il figure sur sa toile ce que l'homme, avec le seul recours de son oeil nu, ne parviendra jamais à se figurer. Ce qu'il montre est du domaine du réel, mais un réel déréalisé.
Cette iconographie cataclysmique (il y est souvent question de guerres et de catastrophes) dresse le constat clinique d'un monde dématérialisé, où notre expérience de la réalité relève de la mise en scène et de la dépossession. Jack GOLDSTEIN s'absente de son oeuvre, au même titre que nous sommes absents (simples spectateurs) de notre propre vie. Il nous enseigne qu'il n'est plus d'art envisageable, sans dessaisissement et sans déception.

Jean-Louis Roux