Jack Goldstein


 

"Jack Goldstein sur le boulevard du crépuscule"
Le Monde, Paris, 5 mars 2002, p.31

Jack Goldstein est un artiste américain de la Côte ouest dont les expositions à New York, dans les années 1980, ont suscité pas mal de littérature. Puis il s'est fait oublier pendant près de dix ans avant de refaire surface en Allemagne. Le voici à Grenoble, avec une exposition et un catalogue qui documentent sérieusement son itinéraire lacunaire et déroutant. Goldstein est un de ces allumés dont la Californie a le secret, un expérimentateur capricieux qui n'est jamais resté longtemps dans une même discipline. Il a donné dans la sculpture, la performance et le film, avant de s'essayer dans la recherche sonore, le disque et sa pochette, et de passer de l'image photographique à l'image peinte, où il semble se plaire. Toutes ces activités sont présentées au Magasin, où un effort particulier à été fait pour rassembler la quasi-totalité des films, soit une trentaine, durant quelques secondes ou quelques minutes.
Cette aventure plutôt chaotique commence vers 1970 dans l'austérité toute relative d'une sculpture pseudo-minimaliste faite de poutres de bois empilées en colonne, de planches disposées en spirale, ou encore d'une couche de coton prise en sandwich entre deux plaques de béton. L'accent mis sur le poids des matériaux et la précarité de l'installation s'avère relever d'un état d'esprit plus proche d'Arte Povera que de l'esthétique puritaine de la Côte est. Les performances et les films auxquels Goldstein semble s'être voué presque exclusivement entre 1971 et 1976 confirment la distance que prend l'artiste vis-à-vis des contraintes théoriques et des manières d'écoles. Film après film, l'artiste semble vérifier, sinon liquider, les pratiques de la même époque en Amérique comme en Europe.
Plutôt que d'y aller de sa personne et de se rouler par terre, de se mordre la cuisse ou de rester immobile jusqu'à l'épuisement, Goldstein préfère très prosaïquement montrer l'élasticité d'un contorsionniste, ou l'image étincelante, mais parfaitement froide, d'un plongeur qui se désintègre. Plutôt que de montrer le poids du corps, il va filmer les pointes d'une ballerine et les mains qui défont les chaussons. D'un verre de lait qui gicle à chaque coup de poing donné sur une table, il blanchit la giclure et la tache de toute expressivité. Il y a dans les films de Goldstein un effet de gratuité, une absence de formalisme, un vide de sens trop évident pour ne pas être suspect, en fait une fausse désinvolture et pas mal de symboles par objets interposés, par exemple ce couteau dont la lame sous la lumière se remplit de rouge. Quand on sait que Goldstein s'est plu à faire rugir le lion de la MGM sur un fond sanglant, on peut s'amuser à faire le lien entre telle image et le cinéma de Hollywood, ses suspenses et ses gros plans à la Hitchcock. Un autre aspect de l'oeuvre de Goldstein est la recherche d'effets sonores, de croisements de bruits et de craquements, que viennent illustrer des pochettes de disques et de singulières peintures des transcriptions d'explosions d'énergies provoquées par la foudre ou la puissance humaine. Eclairs et trajectoires de supersoniques ou de bombes y sont ramenés à des tracés pseudo-scientifiques de lignes blanches sur fond noir, en des tableaux bien léchés qu'on a parfaitement le droit de trouver mauvais. Cette activité picturale mécanique qui s'exerce à partir de photos trouvées, de photos de guerre notamment, ne serait-elle pas, au fond, le gel d'un penchant visionnaire dont une histoire de la peinture de San Francisco à Los Angeles pourrait faire état ?

Geneviève Breerette