Jack Goldstein
"Rester à la surface des choses"
Le Journal des Arts, Paris, 22 février-07 mars 2002, p.12
Peu connu en France, l'artiste canadien Jack Goldstein fait l'objet d'une importante
rétrospective au Magasin, Centre national d'art contemporain de Grenoble.
Bâtie sur les débats engendrés par le formalisme américain
et articulant appropriations et citations, son oeuvre suit de près les
évolutions de l'art aux États-Unis entre 1970 et 1990. Un peu
datées, ses peintures sont heureusement éclipsées par son
travail cinématographique et sonore.
GRENOBLE. Projeté en boucle, le lion rugissant de la Metro Goldwyn Mayer
accueille les visiteurs de l'exposition jack Goldstein. Ne faisant pas dans
la demi-mesure, le film, réalisé en 1975, pourrait être
une allégorie triomphante et autoréférentielle (cf. la
devise Ars gratia artis qui entoure le lion) de l'art et de l'artiste.
L'industrie (les spectacles - voire «le spectacle»- est devenu rapidement
l'un des axes principaux du travail entamé par Jack Goldstein (né
à Montréal en 1945) à la fin des années 1970. Il
s'inscrit alors dans les débats théoriques américains qui
s'étendent du dépassement du minimalisme aux stratégies
d'appropriation développées par un groupe constitué en
1977 lors de l'exposition "Pictures" organisée par le critique
Douglas Crimp. Informelle, cette nébuleuse où se croisent Sherrie
Levine, Robert Longo ou David Salle se maintiendra ensuite dans la sphère
new-yorkaise de la Metro Picture Gallery. Si Jack Goldstein a occupé
dans ces années une position forte, sa réputation n'a pas suivi
celle de ses proches, d'autant que, depuis le début des années
1990, sa production s'est fortement réduite. Ainsi, l'exposition organisée
par le Magasin s'apparente simultanément à une rétrospective
et à un parcours pédagogique dans la scène nord-américaine
des années 1970-1990.
Peu surprenante, la première salle reconstitue une exposition de 1971
où plusieurs constructions se rapprochent des recherches post-minimales
développées par Robert Morris ou Tony Smith. À côté,
une projection des films réalisés dans les années 1970-1973
montre Goldstein appliqué à de très courtes performances
impliquant son corps, dans la lignée des actions d'atelier de Bruce Nauman.
Sans placer Goldstein dans la position d'un "second couteau", tant
d'affinités laissent un peu circonspect sur l'intérêt de
"redécouvrir" une oeuvre si ancrée dans le mainstream.
Dans le même registre, les peintures des années 1980 à 1990,
larges formats représentant à l'aérosol des scènes
de combats aériens, des paysages électrisés, voire des
images fractales, fournissent par leur décadence une bonne excuse au
travail de l'histoire.
Opérant de façon comparable par le biais de l'appropriation, de
la citation, les films de cette période éclipsent heureusement
les débordements picturaux de Goldstein. Là, tout est artifice
(Shane (1975), court-métrage de 3 minutes montrant un chien
dressé pour aboyer), ou citation aussi fragmentaire qu'allusive (The
Knife (1975), simple couteau se teintant de rouge ou de bleu). The
Jump (1978), réalisé à l'aide d'images de plongeurs
olympiques s'apparente, lui, grâce à un trucage au rotoscope, à
une image spectaculaire mais seulement effleurée. Parallèlement,
le travail du son, diffusé lors de performances ou gravés sur
des vinyles (The SixMinutes Drown (1977) ou The Burning Forest
(1976)) est dans ces années une activité majeure. Jack Goldstein
s'empare alors du répertoire des sons et musiques génériques
des productions hollywoodiennes et joue sur des souvenirs, impressions de "déjà-entendu"
et de "déjà-vu". À chacun de les écouter,
et de les associer à sa mémoire de spectateur en puisant dans
un catalogue pourtant formaté. "Dans le sens où il n'est
pas nécessaire d'inventer les mots. Les mots sont déjà
là. Personne non plus n'a besoin d'inventer les images. Les images sont
déjà là. Donc les images, comme les mots n’appartiennent
à personne", expliquait en 1985 Jack Goldstein dans un entretien
avec Chris Dercon. Encore "marginale" à cette époque,
la position de l'artiste s'est depuis largement répandue. Démocratisé,
l'usage de l'échantillonnage permet d'assembler des sons mis à
la disposition de chacun à partir de la masse des enregistrements effectués
jusqu'alors. Peut-être est-ce dans le domaine musical que se situe la
fortune critique de Goldstein?
Olivier Michelon