Jack
Goldstein
"Jack Goldstein"
Para-Para (suppl. parachute), Montréal, avril-juin 2002, p.2-3
Le Magasin réanime les oeuvres charnières d'un artiste méconnu
en Europe, Jack Goldstein, dont la prolifique exploration créatrice dans
les années soixante-dix et quatre-vingt a anticipé de nombreuses
démarches novatrices. Ce parcours vulnéraire dans les tâtonnements
d'une histoire de l'art en voie d'inscription marquera toute notion de réception
du fer rouge de la critique. Par un décalage temporel d'abord, avec l'ambiguïté
que provoque la réception, par le public d'aujourd'hui, de peintures
abstraites mettant en scène le spectacle d'événements violents
(foudre, explosions, incendies) dont la beauté intrinsèque masque
l'enjeu subversif d'origine. Par un décalage théorique ensuite,
entre les contorsions effectuées par les critiques des années
soixante-dix et quatre-vingt au cours desquelles l'artiste a inscrit une métamorphose
radicale de l'artiste en producteur, et la révision esthético-historique
sous forme de mea culpa retardataire de cet artiste volontairement
extirpé du «monde de l'art» depuis le début des années
quatre-vingt-dix. Avec la solide construction rétrospective de l'exposition
et un catalogue anthologique pointu, Jack Goldstein apparaît aux Européens
comme une découverte récemment dépoussiérée
de ses multiples couches de commentaires spécialisés. Ce qui étonne
d'abord avec cet artiste longtemps étiqueté comme appropriationniste
ou simulationniste, c'est l'extraordinaire contemporanéité de
ses démarches et leur cohérence hors normes. Choisissant de produire
avant de créer, l'artiste aura décliné une critique radicale
de la réception des images spectaculaires avec tous les médiums
mis à sa disposition et selon plusieurs logiques de production à
chaque fois révélatrices de l'impensé idéologique
qu'elles reflètent. Travaillant l'imaginaire mental par ses productions
de disques vinyles (bruitages guidant une visualisation narrative, tels que
The Murder, 1977 ou The Six-Minute Drown, 1977), par ses installations
sonores comme celle du croisement diagonal entre le roulement d'un train et
le vrombissement d'un avion (Sound performance, 1979), ou par ses authentiques
productions cinématographiques réalisées en 16 mm par des
professionnels d'Hollywood, comme le célèbre lion de la Metro-Goldwyn-Mayer
(1975) qui active l'attente d'un spectacle déjouée par la répétition
infinie de ses rugissements ; Jack Goldstein fait partie de ces figures incontournables
de l'histoire dont la destinée s'inscrit davantage par ses influences
et des épigones souvent amnésiques de leur paternité, que
par la mémoire aléatoire de ses réalisations dont les traces
se sont depuis longtemps évaporées. Par exemple, l'image mentale
issue de la concoction subtile d'un bruitage suggestif et d'une situation narrative
à reconstruire connaît ainsi un regain d'intérêt chez
des artistes comme Janet Cardiff, Georges Bures Miller ou Ann Lislegaard et
Elena Montesinos. En conséquence, la dimension historique exceptionnelle
de cette rétro-projection repose sur le travail remarquable effectué
pour regrouper des oeuvres disséminées ou disparues (comme les
disques et les performances) et pour proposer la totalité des films restaurés
pour l'occasion. Finalement, le public et la critique sont confrontés
à des situations de réception piégées. Soit le spectateur
accueille ce travail dans la novation intemporelle de ses formes et ignore la
dimension critique originelle voulue par l'artiste, ce qui est finalement la
«lecture» la plus aisée au travers des propositions disposées
au fil de l'exposition; soit il récuse cette réception au premier
degré, laissant de côté tout plaisir esthétique réel,
et ne conserve que la signification subversive essentiellement accessible au
travers du catalogue. Dans les deux cas, l'impact de ce retour sur pellicule
brûle ses convictions à la chaleur de l'évaluation autocritique
et sous le feu des projecteurs de l'industrie du spectacle. Et il serait juste
de se demander si la «disparition» de l'artiste ne peut se lire,
rétrospectivement, comme l'ultime critique subversive de la fiction de
ces spectacles hollywoodiens, si cruellement détrônée parla
réalité depuis un certain 11 septembre.
Véronique D'Auzac de Lamartinie