Jack Goldstein
"Jack Goldstein ressort en Magasin"
Tribune de Genève, Genève, 16-17 février 2002,
p.15
L'Américain a quitté la scène en 1992 pour se consacrer
à l'écriture.
Il faut avoir le nez fin pour connaître ce Jack Goldstein à qui
le Magasin de Grenoble consacre une rétrospective. Trois peintures présentées
l'année dernière à l'Espace lausannois d'art contemporain
et une exposition il y a trois ans au Künstlerhaus de Stuttgart avaient
cependant permis de redécouvrir ce plasticien inscrit aux abonnés
absents de la scène artistique depuis 1992. Manière de dire que
l'accrochage conçu par Yves Aupetitallot et Lionel Bovier au Centre national
d'art contemporain devrait faire date. D'autant que le lieu est tout entier
consacré au travail de l'artiste né à Montréal en
1945.
Peintures tragiques entre Warhol et Richter
Un travail qui démarre dans les rugissements du lion de la MGM. Sur un
écran, le fauve braille en boucle dans son écusson. En attendant
un générique qui ne vient pas, le visiteur tombe sur les premières
sculptures de l'artiste. Un travail entamé à la fin des années
60, où l'ironie pointe parfois. Difficile de ne pas voir dans cette bourre
de coton prise en sandwich entre deux parpaings rouge une observation artistique
sur la résistance des matériaux et une pique à destination
des minimalistes.
Mais la partie la plus intéressante de l'oeuvre du Canadien ne se trouve
pas là. Le Magasin a glané chez divers particuliers la quasi-totalité
de ses toiles, toutes réalisées dans les années 80. Goldstein
feuillette alors les revues, pique au passage la photo d'un bombardement, d'une
catastrophe. Ou, comme dans cette image représentant le sommet de l'Empire
State Building frappé par un éclair, les phénomènes
naturels. Les peintures sont splendides. Les zigzags de ces blitz apparaissent
d'autant plus lumineux que Goldstein zèbre ces cieux tragiques à
coups d'aérographe. La démarche rappelle les appropriations de
Sherrie Levine, sauf qu'esthétiquement le visiteur se trouve pris au
milieu d'un drôle de truc. Quelque chose d'Andy Warhol et de Richter perce
à travers ces tableaux, mais sans le clin d'oeil pop.
Du cinéma et du drame
Pas de glam ni de paillettes en effet chez Goldstein que l'exposition grenobloise
présente comme un touche-à-tout. A côté du peintre
et performer, il y a celui qui grave des disques et réalise des films.
Une salle propose à l'écoute la production du plasticien. Des
vinyles de toutes les couleurs sur lesquels sont enregistrés les feulements
de deux minous s'emmêlant les pattes ou «une noyade de 6 minutes»
reconstituée avec un type qui hurle au milieu de clapotis. Manière
de dire qu'il y a du cinéma dans le travail de Jack Goldstein. Une tentative
d'instiller un soupçon d'Hollywood dans une oeuvre inspirée par
le drame.
Fauteuil emplumé aux sens multiples
Des films, il en est d'ailleurs largement question dans l'exposition. Une petite
salle projette toutes les réalisations du plasticien. L'une d'elles,
datée de 1975, montre un fauteuil recouvert de goudron. Une pluie de
plumes multicolores recouvre au ralenti ce pouf directorial. Voilà qui
rappelle certaines cases de Lucky Luke. Celles où les tricheurs se retrouvent
emmenés à l'extérieur de la ville à califourchon
sur un rail de chemin de fer. Que lire derrière cette Chair emplumée?
Une dénonciation de la justice expéditive? Ou, comme l'écrivait
le critique et artiste John Miller, une critique du racisme dans les premiers
films du cinéma américain ?
Emmanuel Grandjean