Le Magasin de Grenoble présente trois installations de l'artiste russe
qui s'enracinent dans sa mémoire et son autobiographie. A voir absolument.
«Il n'est pas grave, explique Ilya Kabakov, de montrer
sa faiblesse.» Cette faiblesse pour l'exposition de Grenoble, c'est
d'accepter sa défaite devant l'énormité de l'espace
du Magasin. «C'est la vie humaine qui est la défaite. J'ai montré trois
histoires de cette faiblesse: le Bateau de ma vie, l'Album de ma mère
et la Rivière souterraine dorée.» Ces histoires,
Ilya Kabakov, né en 1933 en Union soviétique et vivant actuellement
entre Moscou, New York et Paris, nous les donne à voir, à lire
et à ressentir dans de grandes installations.
Une échelle permet de grimper sur un vaste bateau de bois. Une fois
sur le pont, on déambule entre des cartons hissés hors de la
cale. Ouverts, il laissent apparaître leur lot d'objets, de vêtements
entassés comme pour un déménagement. Au-dessus de cet
amoncellement désordonné, de petits objets insignifiants, un
bouton, une feuille séchée, un cadran de montre, une petite ampoule,
sont collés sur une plaque de carton. Chacun est accompagné d'un
petit texte qui se déroule comme les pensées quotidiennes saisies
d'un journal intime. Objets-mémoires, ils racontent une vie, ses événements,
des réflexions: «Printemps 1985, mon exposition sera organisée à la
Kunsthalle de Berne. C'est aussi beau et lointain que la lune. Par des moyens
exotiques j'envoie plusieurs tableaux et albums principaux», «1992,
déménagement à New York. L'âme est certes nue, l'homme
n'est que son habit».
Fantasmes et métaphore
Les installations de Kabakov font toujours référence à la
narration, à l'autobiographie. Pour autant, rappelle Kabakov, elles
ne sont pas la traduction de la vie quotidienne en Russie. «Elles incarnent
toujours les fantasmes de l'artiste, elles sont une métaphore.» Celle
du labyrinthe dans lequel Kabakov nous fait pénétrer pour parcourir L'Album
de ma mère est d'une charge expressive bouleversante. On avance
dans un couloir brun rouge, au plafond fissuré, faiblement éclairé par
des ampoules sales.
«Je vois la vie en Russie, écrit Kabakov, comme un couloir sombre
et poussiéreux à peine éclairé par de faibles ampoules
et qui ne débouche que sur un nouveau coude...» Aux murs sont accrochées
des photographies de petites villes provinciales à l'heure du «socialisme épanoui».
De l'une à l'autre, un texte déroule les mémoires de la
mère de l'artiste, rédigées alors qu'elle avait 83 ans.
Une vie qui n'a été «qu'un tourment, un supplice, une vie écrasée
par le poids des circonstances de toutes sortes: familiales, quotidiennes, sociales».
Les mots simples, les romances russes chantées en sourdine, la tristesse
du lieu confiné nous renvoient à nous-mêmes et nous font
vivre un sentiment de solitude qui ne nous abandonne pas facilement au sortir
du labyrinthe.
Françoise Nyffenegger