Ilya Kabakov

 


"Ilya Kabakov met la vie en labyrinthe"
Tribune de Genève, Genève, 21 avril 1994

Le Magasin de Grenoble présente trois installations de l'artiste russe qui s'enracinent dans sa mémoire et son autobiographie. A voir absolument.

«Il n'est pas grave, explique Ilya Kabakov, de montrer sa faiblesse.» Cette faiblesse pour l'exposition de Grenoble, c'est d'accepter sa défaite devant l'énormité de l'espace du Magasin. «C'est la vie humaine qui est la défaite. J'ai montré trois histoires de cette faiblesse: le Bateau de ma vie, l'Album de ma mère et la Rivière souterraine dorée.» Ces histoires, Ilya Kabakov, né en 1933 en Union soviétique et vivant actuellement entre Moscou, New York et Paris, nous les donne à voir, à lire et à ressentir dans de grandes installations.
Une échelle permet de grimper sur un vaste bateau de bois. Une fois sur le pont, on déambule entre des cartons hissés hors de la cale. Ouverts, il laissent apparaître leur lot d'objets, de vêtements entassés comme pour un déménagement. Au-dessus de cet amoncellement désordonné, de petits objets insignifiants, un bouton, une feuille séchée, un cadran de montre, une petite ampoule, sont collés sur une plaque de carton. Chacun est accompagné d'un petit texte qui se déroule comme les pensées quotidiennes saisies d'un journal intime. Objets-mémoires, ils racontent une vie, ses événements, des réflexions: «Printemps 1985, mon exposition sera organisée à la Kunsthalle de Berne. C'est aussi beau et lointain que la lune. Par des moyens exotiques j'envoie plusieurs tableaux et albums principaux», «1992, déménagement à New York. L'âme est certes nue, l'homme n'est que son habit».

Fantasmes et métaphore

Les installations de Kabakov font toujours référence à la narration, à l'autobiographie. Pour autant, rappelle Kabakov, elles ne sont pas la traduction de la vie quotidienne en Russie. «Elles incarnent toujours les fantasmes de l'artiste, elles sont une métaphore.» Celle du labyrinthe dans lequel Kabakov nous fait pénétrer pour parcourir L'Album de ma mère est d'une charge expressive bouleversante. On avance dans un couloir brun rouge, au plafond fissuré, faiblement éclairé par des ampoules sales.
«Je vois la vie en Russie, écrit Kabakov, comme un couloir sombre et poussiéreux à peine éclairé par de faibles ampoules et qui ne débouche que sur un nouveau coude...» Aux murs sont accrochées des photographies de petites villes provinciales à l'heure du «socialisme épanoui». De l'une à l'autre, un texte déroule les mémoires de la mère de l'artiste, rédigées alors qu'elle avait 83 ans. Une vie qui n'a été «qu'un tourment, un supplice, une vie écrasée par le poids des circonstances de toutes sortes: familiales, quotidiennes, sociales». Les mots simples, les romances russes chantées en sourdine, la tristesse du lieu confiné nous renvoient à nous-mêmes et nous font vivre un sentiment de solitude qui ne nous abandonne pas facilement au sortir du labyrinthe.

Françoise Nyffenegger