Vincent Pécoil
"Série O"
02, Nantes, été 2003, p. 8 à 11
( extrait de la première page)
Le nouveau «chantier », ou nouvelle série d’œuvres
de Jim Shaw, présenté au Magasin, est articulé autour de
la création d’une religion inventée, l’ « O-isme
», tirant son nom et ses mythes fondateurs d’une déesse innommable
symbolisée par un ‘O’. «Nées dans la région
de Finger Lakes au Nord de l’État de New York au milieu des années
18000, les croyances O-istes comprenaient les notions d’un dieu-femme,
d’un temps s’écoulant à rebours, de la réincarnation
et la prohibition de l’art figuratif», explique doctement Jim Shaw.
Les adeptes de cette secte fondée par la fille d’un prêtre
au XIXe furent contraints d’émigrer vers le Midwest pour échapper
aux persécutions (à la même période que la migration
vers l’Ouest des Mormons – et du Donner Party, dont il
sera question plus tard). Aussi fictive soit-elle, cette secte n’en est
pas moins plausible, ni moins invraisemblable que l’une des innombrables
sous-catégories du catholicisme ou de l’Eglise réformée
dont l’Amérique a accouché au cours des deux derniers siècles.
Parmi les pièces les plus récentes, Jim Shaw a réalisé
une série de tableaux qui sont censés être des reproductions
d’affiches de films d’exploitation hollywoodiens O-istes (série
B, Z…), le texte en moins, seul étant visible le travail de l’illustrateur.
Si l’on considère que le catholicisme et le protestantisme constituent
le mainstream religieux en Occident, on admettra que les confessions
plus exotiques sont leurs dérivés, ou sous-produits. De l’histoire
des premiers l’on tirera les blockbusters, de celle des secondes
les films d’exploitation. L’histoire des religions et l’hagiographie
ont trouvé dans le péplum leur forme moderne – équivalent
visuel de la transmission des Ecritures par le biais des vitraux et reliefs
sculptés au Moyen-Age. Aux vainqueurs, Hollywood reconnaissant octroie
Cecil B. DeMille. Les sans-grades se contenteront, au mieux, des réalisateurs
indépendants – Dan Graham pour les Shakers, ou le péplum
version garage band. Avec Jim Shaw, le genre prend une tournure paranoïaque-critique
– ce que suggérait déjà Cary Loren à propos
de Destroy All Monsters, groupe d’étudiants constitué à
l’origine de ce dernier, de Jim Shaw, Mike Kelley et Niagara : «
a sort of paranoiac-critical garage band ».
Les tableaux de cette série, comme The Woman with no name #1 (2002)
ou The Birth of a Notion #1 (2003), représentent des visages
d’actrices et d’acteurs, dépeints de manière relativement
soigné et superposés à des fonds abstraits, exécutés
de manière ostensiblement painterly. Un procédé
qui rappelle celui adopté, dans les années 40, par nombre de peintres
de la première génération de l’Ecole de New York,
qui avaient notamment hérité des surréalistes exilés
cette manière de réaliser des fonds automatiques abstraits comme
support à leur composition. Un type de peinture surréalisante
qui plus tard a été réinterprété et largement
réemployé par les illustrateurs de SF et de fantastique. Reprise
à son tour dans la peinture de Jim Shaw, cette imagerie acquiert un statut
secondaire qui la distingue de l’appropriation moderniste commune de l’iconographie
vernaculaire.
Sans texte indiquant de quoi ni de qui il s’agit, sans autre supplément
d’information fourni par l’artiste sur le « Livre de l’O-isme
» et ses révélations (pour l’instant du moins), les
personnages représentés dans les peintures restant anonymes, et
leur histoire parfaitement hermétique. En ménageant délibérément
des hiatus dans son histoire fictive, Shaw conforte la dimension mystérieuse,
au sens premier, c’est-à-dire cachée aux non-initiés
du culte. Un « mystère » qui se comprend également,
à un niveau plus général (autrement dit séculaire),
comme celui entourant tous les codes visuels vernaculaires, y compris les plus
triviaux. En conversation avec Jim Shaw, Mike Kelley rappelait que, du temps
de leur jeunesse, « on éliminait la culture populaire sous prétexte
qu’elle était monolithique, et on considérait ses différentes
manifestations comme indignes d’être analysées. Ce que My
Mirage (lune des séries de Jim Shaw, Nda) révèle si
clairement, c’est à quel point beaucoup de ces expressions visuelles
sont très spécifiques. Elles sont destinées à des
publics très particuliers : le monde des affaires, les enfants, les femmes
au foyer, etc.
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