Philippe Thomas
«Philippe Thomas, sacré décodeur»
Libération, Paris, 27 février 2001, p. 39
Philippe Thomas, mort en 1995 à 44 ans, s'était forgé une
notoriété à base d'anonymat. Une exposition de Philippe
Thomas (celle qui vient de s'ouvrir reprend les grandes lignes de la rétrospective
de Barcelone, voir Libération du 21/11/2000) ne fait rien pour retenir
l'attention. Qu'y voit-on? Du mobilier et des accessoires de bureau, des cartons
d'étiquettes autocollantes, des panneaux publicitaires sobres comme de
la communication interne d'entreprise, et, surtout, une multitude de tableaux
de même format (97x130cm) représentant uniformément des
codes-barres. Pour, s'il en était besoin, brouiller davantage les pistes,
les oeuvres de Philippe Thomas ne portent pas sa signature mais celles de ses
collectionneurs ou de sa collection d'hétéronymes. Qui était
le fondateur de l'agence «Les ready-made appartiennent à tout le
monde®», dont le petit ® accolé venait prendre à
contre-pied la générosité de l'intitulé? Un fabricant
de fictions, un fictionnaliste jusqu'au-boutiste qui, avec des moyens volontairement
pauvres et déceptifs, en occupant successivement ou en même temps
toutes les positions (marchand, artiste, collectionneur, esthéticien,
publicitaire, mécène, critique, public, etc.), a traversé
et faussé tous les miroirs où se pavanent objets et acteurs de
l'art contemporain. Si on veut bien se prêter au jeu, on entre dans un
espace où tout semble à sa place et où tout se révèle
en fait parfaitement déplacé, y compris la place du visiteur de
l'exposition. Une fois entré dans ce dispositif fictionnel, difficile
d'en sortir, même pour ceux qui écrivent sur lui et qui se demandent
s'ils ne se sont pas fait engloutir par une de ses subtiles machinations.
Alain Dreyfus