Philippe Thomas

 

«Philippe Thomas»
Technikart, Paris, avril 2001, p. 130

On peut désormais s'appeler Jean-Jacques Ducommundémortel, exercer une activité d'avocat ou de liftier et voir son nom s'afficher au musée sur des cartels, au même titre que Picasso, Warhol ou Duchamp. Un grand sentiment de fierté vous envahit ? Bienvenue dans l'histoire de l'art (où tout est possible), et surtout dans l'univers de Philippe Thomas. A l'heure du sample généralisé, des DJs antihéros et de la dissolution de la notion d'auteur, cet artiste, décédé en 1995, fut le fondateur en 1988 à New York d'une drôle d'agence : «Les ready made appartiennent à tout le monde». Et c'est à coups de spots publicitaires et d'affiches qu'il recrute ses auteurs potentiels : «Histoire de l'art cherche personnages… Amateur ou professionnel passionné par les choses de l'art, collectionneur soucieux de vous investir totalement dans un projet artistique ambitieux (…) Avec nous, vous trouverez toutes les facilités pour laisser définitivement votre nom associé à une oeuvre qui n'aura attendu que vous, et votre signature, pour devenir réalité. (…) N'attendez pas demain pour entrer dans l'histoire.»
Parmi les heureux bénéficiaires de cette ristourne muséale, on trouve des galeristes comme Christophe Durand-Ruel ou Edouard Merino, la directrice du bureau de tendances Li Edelkoort, et de multiples autres personnalités qui, après une signature au bas d'un chèque, se retrouvent aujourd'hui au musée. D'une certaine manière, ils entrent dans la continuité de l'oeuvre de Marcel Duchamp qui, en signant un urinoir acheté dans le commerce et présenté au musée, s'intitule artiste ou de Joseph Beuys qui, dès les années 70, annonce que tout le monde est artiste. Philippe Thomas, c'est aussi l'histoire d'une minirévolution dans le monde de l'art puisque, pour la première fois, une production artistique évoque l'entreprise et vice versa. Avec elle, c'est une fiction qui devient aussi réalité. Le culte de l'artiste disparaît, du moins en apparence, et le collectionneur sort de l'anonymat en se responsabilisant vis-à-vis de l'oeuvre qu'il achète. En ce sens, l'agence vient bousculer le bien-fondé des règles du marché de l'art et interroge en même temps les notions de production, de diffusion et de transaction dans l'art. Conceptuel de la deuxième génération, Philippe Thomas semble ne céder à aucun formalisme. Pourtant, son travail, bien que très diversifié, reste lisible et appréciable à différentes échelles, sans connaissance particulière du message initial qu'il véhicule sur le plan économique : photographies, vidéo, affiches, portraits graphiques sous formes de codes-barres, installations à base de mobilier et d'objets, documents écrits… Une certaine mise en scène des médias s'en dégage, liée au fait que ce Niçois connaît les codes médiatiques et sait s'en servir. Comme il le faisait déjà au sein du collectif IFP (pour Information Fiction Publicité), qu'il quitte en 1985. En toute logique, cet artiste brillant qui incarne son oeuvre dans l'humilité et dont le magnétisme se diffuse encore largement depuis sa disparition n'aurait pas rêvé mieux qu'une réunion de ces collectionneurs pour l'identifier.

Anaïd Demir