Philippe Thomas

 

«Philippe Thomas nous appartient»
Parpaings, Paris, mai 2001, p. 11

La grande difficulté lorsqu'il s'agit de présenter le travail de Philippe Thomas, qu'il s'agisse de l'exposer ou de retranscrire sa démarche par l'écrit, vient avant tout du fait que tout le système de l'art artiste, collectionneur, institution, mais aussi le système discursif qui les valide - a déjà été passé au peigne fin de sa pratique. Rien n'échappe à Philippe Thomas. Mieux, en tant qu'artiste, Philippe Thomas fait encore envie. Mieux encore, son oeuvre ne souffre pas l'exposition ; dans le cas du Magasin, "on reste dans l'ordre du documentaire, du souvenir ou de la célébration… abusive (…). Vous n'avez donc pas lu le catalogue ?…"

Il s'agit, qu'on le veuille ou non, de protagonistes (auteurs, galeristes, commissaires…) d'une histoire encore en marche cinq ans après la mort de… l'auteur ? L'artiste ? Philippe Thomas ? Il y a toujours ambiguïté à écrire sur Thomas. Plus, prendre position c'est participer. Et avec Thomas l'auteur est autre. Hôte autonyme autorisé à porter le poids du texte, le signataire ôte à l'artiste le signe garant de l'authenticité et de l'originalité de l'œuvre : le nom propre, individuel et singulier. Le nom, à une époque où le marché de l'art n'en connaît que de grands, adopte avec Thomas une autre signification. Une autre valeur aussi. Foncièrement structuraliste, cette position participative du producteur personnifié dans plusieurs possesseurs replace l'individu dans un système de règles, de conventions, de normes et de grammaires qui l'animent. L'art en est un. L'Auteur est mort ; l'autorité est parmi nous. "Je" est le texte, le lecteur et l'auteur. VOUS êtes le Texte, le Lecteur et l'Auteur. Pour ce qui est de l'exposition…

RELECTURE
On sait que le discours artistique se veut avant tout discours critique : qu'il se tient dans l'interdépendance d'une dialectique et d'une (dé)monstration (l'exposition). Dans ce point de rencontre obligé, s'est imposé un lieu commun, un topos, à ce point "naturel" qu'on a peine à imaginer à quelle pertinence pourrait encore prétendre - à condition qu'il soit seulement possible ! - un discours ou une exposition qui s'en écarterait… et d'abord s'il ne serait pas méconnaissable pour l'art et ses institutions. A cette question, l'exposition Philippe Thomas a, de fait, droit de cité. C'est là son premier mérite. Que les commissaires d'exposition se soient ou non trompés dans la prise de position à laquelle son travail nous oblige - position qu'ils justifient précautionneusement dans le catalogue -, il reste qu'une exposition est ici rapportée à une FICTION et qu'au lieu de nous être directement adressée, elle se tient dans le retrait d'une instance diégétique. Doublement rapportée - puisqu'elle appartient à l'ordre d'une narration où elle s'expose comme CITATION - elle est doublement engagée dans une instance de répétition.

Si on la considère d'abord simplement comme une citation, l'exposition ne peut rien dénoter d'autre que le sens ou les signes - EXCLUSIVEMENT dont elle se donne comme la reproduction (un agencement du travail de Philippe Thomas). Dans ce sens, de ces signes, elle ne révèle - et ne retient - que la spécificité comme telle de leur arrangement : le fait que ce soit ceci et non cela qui ait été présentement l'objet d'une visibilité. Si cette exposition, dans son agencement, veut dire quelque chose, ce ne peut être que cette contingence qu'elle (re)présente comme une originalité pour ainsi dire événementielle. Par là, elle se laisse interpréter tout entière comme l'équivalent d'un nom propre. L'exposition n'a pas seulement ici la fonction d'une image ou d'une copie dont il s'agirait de retrouver l'original ; elle est avant tout posée comme simulacre dont la facilité à passer pour réel lui vient de la seule puissance de la scénographie.

MOI JEU
L'oeuvre de Philippe Thomas a plus que sa place au Magasin. L'exposition est une présentation quasiment exhaustive de ses productions depuis son départ de IFP (Information, Fiction, Publicité) en 1985 jusqu'à la fermeture de son agence les ready made appartiennent à tout le monde® en 1993. Toutefois, nous l'aurons compris, l'oeuvre conceptuelle de Philippe Thomas - à qui il est difficile d'attribuer des oeuvres physiques faute d'autorité - fait référence, mais on laisse, semble-t-il, bien volontiers à Thomas, Foucault ou Althusser l'idée farfelue de ne pas signer, de contester le statut de l'individu homogène ou pire : de répartir et de diffuser la responsabilité critique. Une oeuvre est aujourd'hui plus que jamais l'oeuvre d'un tel TM - ou d'un tel ©©. La signature (nom, logotype ou concept branding) est un objet de surenchère. Elle joue le rôle d'un plus symbolique qui fait art et en permet la transaction.

Aussi, avec l'exposition Philippe Thomas, on aurait tendance à penser - avec la multiplicité des personnalités/personnages qui gravitent autour de son travail, de son exposition, de son catalogue… le tout de grande qualité - quel petit monde de l'art se serait enfin vengé de cet emmerdeur, empêcheur de singulariser et de signer en rond. De fait, tous s'emparent de l'événement pour le couvrir de leurs noms propres, se faisant une joie de bénéficier de la primeur conjoncturelle de l'information à défaut d'autre chose, faisant tabula rasa du fait que nous sommes tout le monde®.
Philippe Thomas n'est pas mort ! Rendons-lui hommage.

Texte manuscrit de 1985 signé Michel Tournereau, Philippe Thomas : sujet à discrétion?, in Les ready made appartiennent à tout le monde, ouvrage collectif, Barcelone: Aclar - MACBA, 2000, pp. 20-21, coupé et modifié. Le texte original posait lui-même de manière tautologique la question de l'identité et de la diversité de l'auteur, de même que de l'authenticité de l'oeuvre.

Nicolas Audureau