Xavier Veilhan

 

"Xavier Veilhan"
Artpress, Paris, janvier 2001, p.76-77


L'ensemble de l'exposition baigne dans une atmosphère de premier matin du monde. Le parcours commence avec une vraie peinture à l'huile destinée à introduire le visiteur dans l'espace d'une fiction créée en atelier. L'image représente deux hommes debout près d'une voiture garée à l'orée d'un bois. Laissons donc la voiture et pénétrons dans la Forêt. Celle-ci, composée de gros rouleaux de feutre figurant les troncs d'arbres, est assez vaste pour permettre au spectateur de s'y promener, presque de s'y perdre, et de fouler son sol bosselé, lui aussi couvert d'un feutre moelleux qui atténue les sons. A l'expérience physique (visuelle et auditive) proposée par cet environnement, fera écho plus loin l'expérience similaire de la traversée d'une autre construction évoquant à la fois les premiers temps de l'humanité et une forme permanente de paysage, la Grotte. Structurée par ces deux oeuvres pénétrables et enveloppantes, dont l'une constitue une invitation à entrer et l'autre un passage vers la sortie, l'exposition se déroule en boucle, de manière quasiment linéaire, un peu sur le modèle des expositions du Grand-Palais qui canalisent le flot des visiteurs du début à la fin d'une histoire qu'elles racontent avec des oeuvres.

Une «histoire», c'est peut-être ce que raconte également la quinzaine de pièces réunies pour cette manifestation, laquelle apparaît aussi surprenante par son caractère rétrospectif (seulement deux oeuvres nouvelles) qu'excitante par son ampleur, compte tenu de la relative jeunesse (37 ans) de l'artiste. A travers les photographies numériques de la Tour Eiffel et du Dirigeable, à travers les machines que sont les Grues (dans lesquelles des billes d'acier glissent sur un rail mécanique), la Ford T (reconstitution d'un modèle de 1923, avec moteur d'époque en état de marche), le Tour (tour de potier actionné par un scooter) ou encore les Vélos (trois vélos progressivement réduits à leur plus simple expression), se déploie, en effet, comme en accéléré, une histoire des hommes et de leurs constructions, une histoire de leur désir d'art et de leur désir de faire, de leurs rêves, de leur intelligence. Veilhan est un admirateur dans le genre froid et méthodique, au point de friser parfois la sécheresse - de ce génie humain dont témoignent les oeuvres des grands ingénieurs. Son exposition rend hommage aux découvreurs des débuts de l'ère industrielle en même temps qu'aux fondateurs de la modernité - la peinture moderne se trouvant évoquée par l'intermédiaire des photographies dont le coloris sombre renvoie aux noirs de Manet. Comme s'il se sentait dépositaire d'un héritage et s'en estimait comptable, l'artiste revient ici sur ces moments de suspens où quelque chose bascule, où le dirigeable commence à prendre de l'altitude, où Eiffel peut enfin montrer les plans de sa construction. L'heure n'est pas aux manifestations triomphantes, aux discours de célébration, parce qu'on ne voit pas encore très bien ce qu'il adviendra du jour qui se lève (l'image de la Plage sur laquelle débarquent des êtres nouveaux est complètement brouillée), parce qu'on doute encore de l'avenir (voir l'air sceptique, presque goguenard, de ceux qui écoutent dans l'Orateur ). En se reportant ainsi au 19e siècle (et même plus loin puisque la Grotte pourrait évoquer le paléolithique et l'Orateur l'Antiquité), Veilhan désigne une sorte d'enfance de l'homme, un âge révolu ouvert à tous les possibles. Ce n'est pas, semble-t-il, sans un léger sentiment de nostalgie que s'opère cette remontée du temps. L'artiste a beau utiliser techniques et matériaux contemporains, sa revisite de l'histoire - jusqu'au désuet Menuet final - n'est pas le signe d'une confiance absolue dans le présent. En cela, Veilhan est bien un artiste d'aujourd'hui. Mais l'exposition permet aussi de comprendre en quoi ses préoccupations et sa méthode de travail le distinguent dans sa génération. En mettant l'accent sur l'intérêt qu'il porte depuis près de dix ans à la construction, au fonctionnement, à la structure concrète des choses (jusqu'à faire de l'ajustement des pièces de machines, de leur manipulation une expérience nécessaire), la sélection révèle une facette de l'oeuvre généralement restée dans l'ombre. On a souvent ramené le travail de Veilhan à une interrogation sur la représentation. Cette exposition restitue au monde tel qu'il l'envisage sa troisième dimension. Au-delà des signes, indique-t-elle, il y a un réel, une énergie, une pensée à l'oeuvre : ce que l'artiste entend précisément se réapproprier.

Catherine Francblin