L'ensemble de l'exposition baigne dans une atmosphère de premier
matin du monde. Le parcours commence avec une vraie peinture à l'huile
destinée à introduire le visiteur dans l'espace d'une fiction
créée en atelier. L'image représente deux hommes debout
près d'une voiture garée à l'orée d'un bois. Laissons
donc la voiture et pénétrons dans la Forêt. Celle-ci,
composée de gros rouleaux de feutre figurant les troncs d'arbres, est
assez vaste pour permettre au spectateur de s'y promener, presque de s'y perdre,
et de fouler son sol bosselé, lui aussi couvert d'un feutre moelleux
qui atténue les sons. A l'expérience physique (visuelle et auditive)
proposée par cet environnement, fera écho plus loin l'expérience
similaire de la traversée d'une autre construction évoquant à
la fois les premiers temps de l'humanité et une forme permanente de paysage,
la Grotte. Structurée par ces deux oeuvres pénétrables
et enveloppantes, dont l'une constitue une invitation à entrer et l'autre
un passage vers la sortie, l'exposition se déroule en boucle, de manière
quasiment linéaire, un peu sur le modèle des expositions du Grand-Palais
qui canalisent le flot des visiteurs du début à la fin d'une histoire
qu'elles racontent avec des oeuvres.
Une «histoire», c'est peut-être ce que raconte également
la quinzaine de pièces réunies pour cette manifestation, laquelle
apparaît aussi surprenante par son caractère rétrospectif
(seulement deux oeuvres nouvelles) qu'excitante par son ampleur, compte tenu
de la relative jeunesse (37 ans) de l'artiste. A travers les photographies numériques
de la Tour Eiffel et du Dirigeable, à travers les
machines que sont les Grues (dans lesquelles des billes d'acier glissent
sur un rail mécanique), la Ford T (reconstitution d'un modèle
de 1923, avec moteur d'époque en état de marche), le Tour
(tour de potier actionné par un scooter) ou encore les Vélos
(trois vélos progressivement réduits à leur plus
simple expression), se déploie, en effet, comme en accéléré,
une histoire des hommes et de leurs constructions, une histoire de leur désir
d'art et de leur désir de faire, de leurs rêves, de leur intelligence.
Veilhan est un admirateur dans le genre froid et méthodique, au point
de friser parfois la sécheresse - de ce génie humain dont témoignent
les oeuvres des grands ingénieurs. Son exposition rend hommage aux découvreurs
des débuts de l'ère industrielle en même temps qu'aux fondateurs
de la modernité - la peinture moderne se trouvant évoquée
par l'intermédiaire des photographies dont le coloris sombre renvoie
aux noirs de Manet. Comme s'il se sentait dépositaire d'un héritage
et s'en estimait comptable, l'artiste revient ici sur ces moments de suspens
où quelque chose bascule, où le dirigeable commence à prendre
de l'altitude, où Eiffel peut enfin montrer les plans de sa construction.
L'heure n'est pas aux manifestations triomphantes, aux discours de célébration,
parce qu'on ne voit pas encore très bien ce qu'il adviendra du jour qui
se lève (l'image de la Plage sur laquelle débarquent
des êtres nouveaux est complètement brouillée), parce qu'on
doute encore de l'avenir (voir l'air sceptique, presque goguenard, de ceux qui
écoutent dans l'Orateur ). En se reportant ainsi au 19e siècle
(et même plus loin puisque la Grotte pourrait évoquer
le paléolithique et l'Orateur l'Antiquité), Veilhan désigne
une sorte d'enfance de l'homme, un âge révolu ouvert à tous
les possibles. Ce n'est pas, semble-t-il, sans un léger sentiment de
nostalgie que s'opère cette remontée du temps. L'artiste a beau
utiliser techniques et matériaux contemporains, sa revisite de l'histoire
- jusqu'au désuet Menuet final - n'est pas le signe d'une confiance
absolue dans le présent. En cela, Veilhan est bien un artiste d'aujourd'hui.
Mais l'exposition permet aussi de comprendre en quoi ses préoccupations
et sa méthode de travail le distinguent dans sa génération.
En mettant l'accent sur l'intérêt qu'il porte depuis près
de dix ans à la construction, au fonctionnement, à la structure
concrète des choses (jusqu'à faire de l'ajustement des pièces
de machines, de leur manipulation une expérience nécessaire),
la sélection révèle une facette de l'oeuvre généralement
restée dans l'ombre. On a souvent ramené le travail de Veilhan
à une interrogation sur la représentation. Cette exposition restitue
au monde tel qu'il l'envisage sa troisième dimension. Au-delà
des signes, indique-t-elle, il y a un réel, une énergie, une pensée
à l'oeuvre : ce que l'artiste entend précisément se réapproprier.
Catherine Francblin