Sylvie Fleury
Le Journal des Arts, Paris, 9-22 novembre 2001, p.7
À Grenoble, Sylvie Fleury passe de la mode au New Age
Occupant la totalité des espaces du Magasin, Centre national d'art contemporain, Sylvie Fleury regroupe sous le titre d'"Identity/astral/pain/projection" quelques-uns de ses récents travaux à Grenoble. Si l'univers de la mode, référent par le biais duquel l'artiste suisse s'est fait connaître au début des années 1990, est encore présent, il côtoie d'autres corpus comme ceux de l'automobile et des médecines parallèles, sujets propres à révéler des désirs d'individualisation.
À la fois accessoires virils, symboles d'une contrainte féminine
ou fétiches punk, huit lames de rasoirs de trois mètres de haut
(Razorblades , 2001) appuyées contre les murs reflètent
la lumière d'un slogan répété par trois fois sur
des néons " be amazing ". Sylvie Fleury prend un malin
plaisir à agir sur le fil du rasoir, sur la brèche. Ses oeuvres,
précises et coupantes, exercent simultanément crainte et fascination,
toujours trop spectaculaires pour être honnêtes. Elles "reflètent
la personne qui les regarde", se plaît à répéter
avec ingénuité l'artiste suisse. Justement, comment regarder Trees
show the bodily form of the wind ? Produite pour l'occasion, la pièce
reconstitue au centimètre près le mur d'un magasin Prada. De la
peinture à la lumière en passant par la moquette et les chaussures,
la multinationale, qui ne peut espérer plus rapide retour sur image,
a tout fourni. Quel "mécène" ne rêve pas d'avoir
son stand et ses produits en plein milieu d'une exposition ? L'équation
" Musée = centre commercial " a déjà
été formulée avec cynisme et clairvoyance par l'architecte
néerlandais Rem Koolhaas qui développe un nouveau concept de "shopping".
Il a d'ailleurs appliqué le schéma en brouillant davantage les
cartes : Andreas Gursky a photographié un rayon Prada, ses images serviront
de papier peint pour les nouvelles boutiques. En décrivant son oeuvre
" comme une mise en trois dimensions de la photographie de Gursky ",
Sylvie Fleury accélère encore la boucle, atténue davantage
les frontières mais reprend la main. Depuis le début des années
1990, le travail de l'artiste suisse est connu pour son utilisation d'articles
de luxe et autres shopping bags , mais intitulée "Identity/astral/pain/projection",
l'exposition du Magasin montre la diversité des univers appréhendés.
Pour l'artiste, la " mode est une prothèse ", un rajout
permettant de se distinguer. Des flammes peintes à même le mur
( Flames 12 , 2001) derrière un alignement de moteurs argentés
( 283 Chevy, 400 Dodge et 400 Pontiac , 1999) participent du même
désir de "customisation", phénomène populaire
qui consiste à individualiser son véhicule par le biais de chromes
et autres petits plus. Fondée par Sylvie Fleury, l'agence de customisation
She Devils on Wheels Headquarters a pignon sur la "rue"
du Magasin où s'accumulent les carcasses de véhicules. Projeté
dans un conteneur, Viva las Vegas fournit un possible résumé
de ses activités. Ces plans ralentis, saisis lors d'une convention de
"customs", montrent des pots d'échappement enflammés,
des roues larges, on des revers de jeans impeccables comme autant de stratégies
pour s'échapper de la production en série. Le refus de l'universel,
l'amélioration sans grand bouleversement, et la soumission finale à
de nouveaux codes et archétypes sont les constantes des univers précités
(la mode, le custom). Elles se répètent dans celui des médecines
naturelles, référence principale des derniers travaux de Sylvie
Fleury. Là se croisent pendules agrandis ( Seven ), espace de
relaxation sur lit de jade chauffé ( Sitting quietly, doing nothing,
Spring comes, and the grass grows by itself ), bibliothèque naturopathe
( Waves gives vital energy to the moon ). S'adjoignant les services
d'un chromothérapeute, l'artiste donne au spectateur la possibilité
de se renseigner sur son aura avant de la "customiser" dans un espace
coloré ( Two views of the rock and sand garden at Ryoanfi ).
Les fondements théosophiques de l'abstraction et les théories
des couleurs de Johannes Itten retrouvent par l'intermédiaire des théories
"New Age" un peu de leur pouvoir.
Olivier Michelon