Sylvie Fleury




"En voiture, Madame Sylvie"
Kunst Bulletin, Zurich, Janvier-février 2002

Dix ans plus tard, Sylvie Fleury se retrouve à la tête d'une artillerie plastique parmi les plus grinçantes et ambiguës du champ de l'art. Ses <displays>, peintures murales, vidéos ajoutent des couches aux signes éponymes des cultures abstraite, pop, minimale, science-fictionnelle, thérapeutique, customizing...; ils parviennent même, pour certains d'entre eux, à se recycler sous couvert de produits dérivés singularisés et d'ambiances rejouées, souvent reliftées d'une exposition à l'autre. Forts du regard léger qui les traverse et de l'aplomb qui les caractérisent, les artefacts de Fleury tombent toujours à pic.

Notes sur les désirs d'indivisualisation

L'exposition <Identity Pain Astral Projection> s'est tenue au Magasin de Grenoble du 21 Octobre 2001 au 6 Janvier 2002. À cette occasion une monographie publiée par le Magasin et le Mamco, éditée aux Presses du Réel et par la Réunion des Musées nationaux reprend les principales pièces de l'artiste. Des textes de Eric Troncy, Makus Brüderlin et Liam Gillick complètent cette monographie. Des entretiens avec des fans de voitures et Michele Nicol confirment la passion de l'artiste pour ce domaine. La plupart des pièces ont été réalisées pour l'occasion.

Pourquoi, aujourd'hui s'amuserait on à collecter pêle-mêle les pages de magazines, certains parfums, quelques chaussures (le luxe bizarrement <arty>, si ce n'est pour produire un point de vue socio-critique qu'une littérature vaine accompagne... déjà? Une styliste bloquée en Auvergne peut-être? Ou, tout simplement, deux personnes qui discutent au téléphone au sujet d'images qu'une d'entre elle n'a pas sous le nez?
Pour décrire le pays de la sape de luxe - et les reportages télé-zombies dans ce domaine sont plutôt réjouissants -, il faut une dose d'énergie féroce pour parvenir à <côtoyer>, avec légèreté, sans complexe ni pathos la surproduction médiatico-glamour de la mode sans produire un soupçon de commentaire qui ne serait qu'illustratif du monde qu'il prétend co-produire. Sylvie Fleury possède cette grande qualité. Les objets de Fleury produisent à la fois de la consternation et de la jubilation. L'immédiateté physique et l'excitation visuelle qui les caractérisent répondent à la bêtise générale par la connerie ambiante: un sol recouvert de bitume, des cristaux lumineux en plastique qui clignotent, une bibliothèque naturopathe, un stand de <customisation> de voitures, des lames de rasoir géantes, des limousines à moitié compressées dans le sens de la hauteur et repeintes en rose... Des objets parfaitement bouclés et ouverts, à l'image de la mode qui permet de se distinguer de l'autre. Chez Fleury, les titres mettent le feu aux poudres, ils cisaillent avec humour le formalisme du plus ancien jusqu'à ses formes de cynisme les plus contemporaines qu'ils pointent et balaient.
Chaque exposition de Sylvie Fleury pousse le couple distanciation/séduction aux limites de la mode et de la publicité, fûrent-elles ultra-référencées. Pour preuve toute l'armada de détails et d'accrochages panoramiques qui évitent de parler <sur> quelque chose, qui ne se donnent pas uniquement comme des appropriations et qui se gardent bien d'opter pour une direction plus que pour une autre. Sylvie Fleury possède de surcroît le chic des spécialistes. Elle sauve les meubles de chaque nouvelle sphère ou système qu'elle côtoie sans le coloniser et sait réellement de quoi elle parle - du bureau de style au produit fini, de la peinture de carrosserie à la customisation, de la couleur à la spiritualité - avant de signer pour un ton, une matière, une ambiance, une individualisation. Sou exposition grenobloise, <Identity Pain and Astral Projection>, l'illustre à merveille. Qu'il s'agisse des travaux réalisés avec le chromothérapeute Pierre Van Obberghen rencontré à Genève lors d'un salon sur les médecines douces, des femmes qui viennent animer le quartier général de <She Devils on Wheels> installé dans la rue du Magasin, ou de Prada une boutique est reconstituée avec le concours de la marque et qui fait entrer littéralement dans la photographie d'Andreas Gursky. Dommage qu'il n'y ait pas une seule vendeuse.

Sylvie Fleury est née en 1961 à Genève où elle vit et travaille. Elle montre son travail depuis 1990. La Serpentine Gallery de Londres, la ACE Gallery de Los Angeles, le ZKM de Karlsruhe lui ont récemment consacré des expositions monographiques. Elle travaille avec les galeries Art & Public (Genève), Hauser & Wirth & Presenhuber (Zurich), Monika Spruth & Philomene Magers (Munich), Mehdi Chouakri (Berlin). Elle expose à la Galerie Thaddaeus Ropac (Paris) du 12 janvier an 9 février 2002. (www. ropac.net).

Alexis Vaillant