Sylvie Fleury




« Artchimie »
Numéro, Paris, déc. 01 - janv. 2002, p.44 et 45

La Suisse Sylvie Fleury fusionne l'art et la mode dans une oeuvre délirante où la sophistication n'a d'égale que l'excentricité. Une équation qui s'applique à son travail comme à sa vie, pour cette artiste qui habiterait la demeure d'un ancien professeur de magie. Cela expliquerait-il son nouvel intérêt pour la spiritualité et les sciences occultes? Réponse à Grenoble, où elle présente ses derniers travaux, plus personnels mais jamais très loin de ses sujets de prédilection.

 

Numéro: Votre travail semble s'orienter vers la spiritualité. En quoi cette nouvelle voie s'inscrit-elle dans votre démarche?

Sylvie Fleury: L'ensemble des pièces de cette exposition traite de la customisation, attitude qui consiste à modifier un objet afin de le personnaliser et de se l'approprier. Quand on aborde ce thème, on touche aussi à l'identité, au fétichisme, à la sexualité. Après avoir customisé le corps avec les chaussures et l'aérobic, j'ai peut-être eu envie de passer à la customisation de l'esprit. Par ailleurs, rechercher une forme de spiritualité, c'est quelque chose qui est très lié à la mode. La démarche est cohérente si l'on en croit les gens qui pensent que tout mon travail est inspiré de la lecture des magazines de mode, ce qui n'est pas complètement faux, mais pas complètement vrai non plus; je lis aussi des magazines de voiture ! On retrouve ce même phénomène au niveau du yoga, qui remplace maintenant l'aérobic. En ce sens, c'est parfaitement logique, bien que je ne sois pas une personne parfaitement logique.

Abandonnez-vous le thème de la mode?

Les shopping bags ont tellement marqué le début de ma carrière que les gens m'ont souvent limité à ce genre de travaux. En 1989, année où j'ai réalisé ma première oeuvre sur ce thème, j'étais en quelque sorte une pionnière. Les liens entre l'art et la mode existaient depuis longtemps, mais ils étaient très peu mis à jour. La photographie de mode était également sur le point de dévier. J'ai été très sensible à tout cela car les "cross over" m'ont toujours intéressée. Mon travail sur la mode n'est pas fini, et ne le sera sans doute jamais, mais la customisation ne peut pas se limiter à la chaussure et au sac à main. Je ne renierai jamais la mode. Enfin,je n'en sais rien. On ne peut jamais dire jamais.

Qu'est-ce qui vous a attirée au départ dans l'univers de la mode?

Ce qui m'a toujours fascinée dans la mode, c'est la facilité qu'ont les créateurs de présenter une collection en disant: "Voilà, cette saison, c'est ceci et cela", et de se contredire complètement dans leur discours la saison suivante. Pourquoi? Pour rien. C'est l'éphémère. À la fin des années 80, quand j'ai débuté, j'ai eu un peu de mal avec les démarches artistiques extrêmement monolithiques, enfermées dans un seul discours. Je déteste être enfermée dans quoi que ce soit. Dans la mode, il y a cette légèreté et cette superficialité que j'ai tenté d'approfondir.
Vous présentez des installations monumentales plastiquement très soignées. Comment se font vos choix formels?

Il ne suffit pas qu'un objet soit intéressant plastiquement pour que je souhaite l'exposer. Il faut qu'à cela s'ajoute quatre ou cinq couches de lecture pour le présenter ensuite comme une sculpture. L'installation de la boutique Prada appartient à cette catégorie d'oeuvre. Elle évoque mes anciens travaux sur les chaussures, et c'est aussi une recomposition en trois dimensions d'une photographie d'Andreas Gursky. Je m'approprie donc par la même occasion le discours d'un homme, et, qui plus est, celui d'un artiste. Ce qui pose des questions sur la notion d'identité. Mes pièces sont, en général, très ouvertes à la lecture; je n'ai pas de comportement dictatorial: elles sont des miroirs qui renvoient chaque personne à elle-même.

Fabienne Fulchéri