Micropolitiques

 
«Micropolitiques»
Artpress , Paris, avril 2000, p. 85-86

«Le fil rouge de l'exposition est constitué par une série de "bâtons" (Cadere, Durham, Scurti...) et de "boules" qui essaiment au long du parcours.» Curieux argument livré par le communiqué de presse et qui ramène à peu de choses l'idée qu'on peut se faire de la scénographie d'une exposition. Il s'agit du clin d'oeil «sympa» qui suit un texte aride (de Paul Ardenne), et que fait bien vite oublier l'annonce ultime : «L'intervention d'un DJ est prévue le jour du vernissage.» Ajoutons que l'exposition n'est pas économe en iMac translucides et colorés, indispensable élément mobilier des expositions actuelles.

Cela dit en préambule, les oeuvres ont été choisies pour leurs implications politiques à un niveau «moléculaire», c'est-à-dire qu'elles évitent l'écueil dans lequel s'enlisent souvent les oeuvres politiques : la dénonciation. Il s'agit de s'intéresser à ces actions qui, poétiques, locales, modestes parfois, ont prétention à attirer l'attention sur l'écologie (Uriburu), les comportements (Gonzalez-Torres, Höller), la politique (Villeglé), en évitant «les propositions "socio-cul" pour reloger les sans-abris», comme le précise le texte (vraiment épatant !) d'introduction au catalogue, qui identifie les modalités d'actions (détruire, reconstruire, partager) et cite Annie Lenox et Gilles Deleuze.

Qu'on découvre ce que l'art «socio-cul» a de ridicule, c'est bien la moindre des choses. Qu'on rassemble ceux qui sont restés un ton en dessous, pourquoi pas. Mais l'on observe que les oeuvres restent quand même choisies dans des champs très micropolitiquement corrects, et que la leçon de savoir-vivre n'est jamais très loin. On n'y verra pas, par exemple, les Shopping Bags de Sylvie Fleury, ni les photos des interventions chirurgicales d'Orlan, ni toute autre oeuvre dont le sujet s'écarte de ce qui est sous-tendu par une bonne conscience sociale. A partir de quand une oeuvre est-elle «micropolitique»? C'est bien là toute la question, et la réponse proposée apparaît un peu conventionnelle, sinon mièvre. «Dès qu'une oeuvre est exposée, elle est politique», rappelle Daniel Buren dans un remarquable entretien publié dans le catalogue. Le mieux est donc encore d'oublier le sujet, comme y invitent d'ailleurs les préambules méthodologiques : ni chronologie, ni exhaustivité, ni obligation historique. Pourquoi alors s'encombrer encore d'un sujet ? Car ce qui est le plus palpable, c'est le plaisir que se sont fort heureusement autorisés les deux commissaires (Paul Ardenne, Christine Macel), en allant dénicher des oeuvres endormies (des bâtons de Cadere qui ne ressemblent pas à des bâtons de Cadere, une bande-son de Beuys chantant, les 16704 cm 2 de pré-territoire de la république géniale de Filliou et autres friandises) dont le déballage est très excitant. Beaucoup des encombrants murs de l'espace du Magasin ont été escamotés, livrant un espace explosé dès l'entrée par Kendell Geers, qui donne le ton d'un parcours qui s'essouffle un peu, et s'achève sur la rime formelle, un peu sotte, de l'oeuvre de Dan Peterman avec celle de Rehberger. C'est dans cette liberté très inhabituelle et salutaire des commissaires que s'exprime finalement le véritable caractère «micropolitique» de l'exposition c'est aussi elle qui la sauve du même académisme fatigant qui taraude le «macro-politique».

Eric Troncy