«Micropolitiquement très correct»
Technikart, Paris, mars 2000, p.102
A la fois racoleur et inspirant le sérieux, réaliser une exposition
autour de la politique est sans doute le challenge le plus périlleux
qu'un commissaire puisse se fixer. Pour «Micropolitiques» au Magasin
de Grenoble, ils n'étaient pas trop de deux (Paul Ardenne et Christine
Macel) pour s'y confronter. Que sont la nature et l'intensité de l'engagement
aujourd'hui dans l'art ? Des zincs de comptoir à l'Assemblée,
chacun y va de sa petite opinion avec la certitude de détenir la vérité.
Comment traiter une question aussi vaste sans céder à la tentation
d'être didactique, schématique, voire bavard ? Dans la politique,
tout le monde peut donc s'y retrouver puisque, jusqu'à preuve du contraire,
être artiste, aujourd'hui plus qu'hier, c'est s'exposer au public, donc
agir et avoir un rôle dans la cité.
«Micropolitiques» fait référence à «Mille
Plateaux» de Deleuze et parle d'engagement au degré 1 dans l'histoire
de l'art. Dans le genre, on aurait préféré entendre parler
des TAZ (Zones d'Autonomie Temporaire) du cyberactiviste Hakim Bey, ces zones
d'insurrection sans engagement direct qui fleurissent un peu partout, qui agissent
puis se dissolvent pour se reformer ailleurs avant qu'on ne les repère.
Toujours est-il que muni de sa loupe, le visiteur se lance dans le parcours,
exclusivement jonché de boules et de bâtons colorés, tentant
de discerner ce que ces artistes-là ont plus d'engagé que les
autres. Les années 70 étant jugées plus politiques qu'aujourd'hui,
on y trouve donc quelques affiches de Villegle, lacérées comme
il se doit, une pincée de Beuys-chanteur, l'artiste politisé par
excellence, et des bâtons de Cadere alignés comme des piquets.
Le contexte politique n'y est pas mais on arrive à imaginer. Parler en
revanche de «Micropolitiques», en ce qui les concerne, est un peu
réducteur. Pour les plus jeunes, Van Lieshout y apparaît avec un
nouveau mobile-home peu tentant, le diaporama de Carsten Höller parle d'une
manifestation d'enfants qui aurait foiré, Sylvie Blocher donne dans le
gentil social avec ces photos de gens de Calais et Régine Kolle propose
des toiles qui n'ont de politique que leurs fantasmes. Heureusement, ici et
là, quelques zones semblent plus réactives : les documents de
Gordon Matta-Clark, concernant son réseau communautaire et autosuffisant,
les affiches de Scurti, qui ont occupé la rue avant d'être présentées
sous leurs plus beaux atours dans l'exposition, les armes de Philippe Meste,
manifestement offensives, le mur défoncé par Kendel Geers (avec
une forte envie de finir le travail qu'il a commencé)... A côté
de ceux-là, on se demande ce que fait Joël Hubaut avec son installation
d'objets oranges collectés dans la ville et en quoi les revendications
de Saverio Lucariello changent le cours des choses... Une chose est pourtant
sûre : les choses ont bien du mal à changer sous le règne
du politiquement correct artistique. Dans une organisation spatiale un rien
gadget, on sent que la révolution n'est toujours pas pour demain.
Anaïd Demir