«politique-fiction»
Le Journal des Arts, Paris, 3 mars 2000, p.10
Comment définir et quels sont les champs de l'action politique des artistes
contemporains ? À ces questions, qui n'appellent évidemment pas
de réponses uniformes ni uniformisatrices, l'exposition "Micropolitiques",
au Magasin de Grenoble, tente de proposer un point de vue forcément subjectif,
tout en se replaçant dans une logique d'histoire de l'art.
GRENOBLE. Les temps changent, mais les concepts restent. Alors que la musique, la couture, la mode en général ne cessent de nous repasser les plats réchauffés d'une culture des années soixante et soixante-dix à la sauce quatre-vingt-dix, la lecture et la théorie de l'art ne semblent pas non plus épargnées par cette logique de surgelés tout juste sortis du micro-ondes. L'exposition "Micropolitiques" met ainsi au goût du jour une réflexion sur l'engagement politique de l'artiste, dont les heures de gloire sont ici mises en exergue à travers le restaurant communautaire de Gordon Matta-Clark, Food. Quelques photographies en noir et blanc de 1971-1973 nous prennent à témoin : l'art "relationnel" et les collectifs d'artistes ne datent pas d'aujourd'hui. Certes, mais cet exemple isolé, face notamment à la brocante de Joël Hubaut, pointe en même temps les limites d'une exposition présentée comme une réflexion d'historien de l'art qui n'aurait manifestement pas eu les moyens de ses ambitions. Le Magasin de Grenoble n'est pas le Centre Georges Pompidou et il ne s'agit évidemment pas de répondre à "Face à l'histoire". Mais "Micropolitiques" navigue un peu entre les vagues, en plaçant quelques repères fragmentaires (André Cadere, Robert Filliou, Nicolas Uriburu, Daniel Buren, Joseph Beuys, Felix Gonzalez-Torres...), sans pouvoir manifestement approfondir les démarches de chacun de ces créateurs. Aussi, à défaut de se placer sur le fond, les deux commissaires de l'exposition, Christine Macel et Paul Ardenne, proposent-ils un parcours purement formel à travers des boules - les sphères de journaux de Michelangelo Pistoletto (Scultura da passeggio, 1966-1995), la boule de plasticine de Kendell Geers (Title Withheld (Stolen Idea), 1995-2000) ou la Paper Ball (1994) d'Uri Tzaig - et des bâtons - ceux d'André Cadere (Barre de bois rond , 1977), de Jimmie Durham (Le bâton pour marquer le centre du monde à Reims, 1996), ou les assemblages de canettes de CocaCola recouvertes de peau de serpent de Franck Scurti (Caducée III, 1997) - dont on peut faire l'économie d'une analyse psychanalytique.
"Sonne statt Reagan"
Même si l'aspect politique stricto sensu n'est pas
toujours évident dans les oeuvres exposées à Grenoble,
Daniel Buren vient à propos élargir son territoire dans un entretien
publié dans le catalogue : "Quitte à rabâcher,
je pars du principe que tout acte public est aussi et immédiatement politique,
qu'il soit fortement significatif ou complètement dénué
de sens. Tout acte public a aussi un sens politique qui peut être - et
se trouve être très souvent - indépendant de l'opinion politique
de l'auteur". Dans le même ouvrage, Paul Ardenne donne sa définition
de l'art "micropolitique" : "(Il) se qualifie, outre
par ses objectifs plus mesurés, par l'absence d'une vision prédictive
et, en voie de conséquence, par sa préférence des actions
de portée immédiate". Ainsi en est-il des logiques de
guérilla de Philippe Meste, ou de la cloison défoncée de
Kendell Geers. À ces interventions spectaculaires répondent des
micro-interventions qui s'immiscent dans les interstices, dans des logiques
micro-économiques, à l'image du travail de Simon Starling. Ces
petits gestes, ces petits déplacements sont évidemment loin des
gros sabots de Beuys chantant Wir wollen Sonne stati Reagan (Nous
voulons du soleil à la place [de Reagan] de la pluie). Et encore, ici
nous est épargnée la vision apocalyptique du chaman allemand sur
scène!
Philippe Régnier