Mike Kelley




 

«Un théâtre de singes»
Kunst-Bulletin, Zurich, janvier-février 2000, p. 32-33

Pour sa première exposition conséquente en France, l'artiste américain Mike Kelley montre deux pièces réalisées en 1999. Vastes (sculptures)-assemblages de matériaux hétérogènes, «Salle d'expérimentation contenant de multiples stimuli connus pour susciter la curiosité et des manipulations» montrée ici pour la première fois et «L'encadré et le cadre» (réplique miniature du «Puits de Chinatown» construite par Mike Kelley d'après la réplique miniature de la «grotte des sept étoiles» construite par le professeur H.K. Lu), sont des installations qui interrogent autant les manières de déchiffrer le dense réseau de significations qui les caractérise que leur sens devenu aujourd'hui selon l'artiste un «espace trouble encadré».

Dans l'obscurité scénographiée des galeries du Magasin, se profile une structure gigantesque - une cage - flanquée d'un balcon mirador. Sa clôture en métal et en verre laisse apparaître des instruments <high tech> neufs et propres : un <arbre de la connaissance> en métal orange, une batte de base-ball rouge, une cuvette en aluminium... Une vidéo projetée sur l'unique paroi opaque de la cage montre des acteurs danseurs-performers qui <dansent avec> les instruments ici présentés et qui sont en réalité la reproduction et l'agrandissement, à l'échelle de la cage, de <stimuli> utilisés par Harlow lors d'expériences sur l'affectivité des chimpanzés durant les années 50 et 60. À partir de ces stimulateurs de <comportements>, Mike Kelley a observé d'une part que la chorégraphe Martha Graham, associée à Noguchi, modifiait la configuration de l'espace scénique en déplaçant les éléments du décor, et, d'autre part, dans un registre beaucoup plus formaliste, que certaines sculptures de Max Ernst - notamment celles <à vivre> - pouvaient ressembler à celles de Noguchi. Entre la cage des singes et la scène utilisée par Martha Graham, naît un laboratoire d'observation dont la contemporanéité tient aux manières dont les références qui le caractérisent naviguent, d'une scène à l'autre jusqu'à l'espace du spectateur, sans jamais revenir, identiques, à leur point de départ.

 

Bien avant cette collision Harlow-Graham-Noguchi, le regard de Mike Kelley s'est attardé sur <l'Ile aux singes> dans le zoo de Los Angeles (1982). Le <Shock> du X, entendez les disjonctions entre corps et esprit, entre continuité et projection, entre automatismes et liberté chez l'animal, amenèrent l'artiste à monter en 1983 son exposition personnelle <Monkey Island>. Dix-sept ans plus tard, les singes sont encore de la partie - pour ainsi dire toujours reliés à l'humain - cette fois au carrefour de la danse et des mères de substitution, des stimuli perceptifs et des difficultés de se débarrasser des déchets, de l'objet transitionnel et de la génétique, du relationnel et de la socialisation, de la violence et du désir qui lui est corollaire. Ces rapprochements féconds qui traversent l'élaboration de <Test Room ...> déplacent le point de vue du spectateur dans et hors de la <scène> : que et qui <contient> cette salle d'expérimentation ? La question porte l'exposition jusqu'à la seconde installation qui l'envisage toutefois différemment. Son titre, <Framed and Frame> relève du cadre (sous-entendu de quelque chose). La fontaine du Chinatown de Los Angeles est recréée, sortie de son

enclos, placée <derrière> lui. Pourquoi ? Un passionnant <Collage> installé sur le plateau d'une table spécifie lesmodalités du repérage et du montage de l'installation. <Framed and Frame> est un réseau d'images (cartes postales de grottes, photogrammes publicitaires hollywoodiens) et de textes (commentaires fléchés qui racontent l'histoire de cette fontaine sanctuaire aux motifs bouddhistes, chrétiens, asiatiques et occidentaux de ce Chinatown, ses fonctionnalités symboliques et populaires) à travers lequel

l'artiste indique son souhait de <rendre libre> ce monument, en le faisant mentalement entrer et sortir de son enclos, autrement dit de mener (à terme ?) une <opération érotique>... de plus dont le sens serait <un espace trouble encadré>.

Alexis Vaillant