«Mike Kelley touche à tout»
Libération , 11 novembre 1999, p. 28
Mike Kelley joue avec Thurston Moore, le chanteur de Sonic Youth dans un
groupe appelé, lui, Destroy All Monsters. Mais Mike Kelley n'est pas
connu du seul monde musical, comme de nombreux artistes américains, il
ne se contente pas d'un seul moyen d'expression. Danse, cinéma, théâtre,
toutes les formes artistiques qu'il a pratiquées ont construit son travail
de sculpteur. Mike Kelley n'a pas une vision linéaire de l'histoire ou
de l'espace,il confronte les objets à travers leur mise en scène
à des multitudes de fragments de temps. Au Magasin de Grenoble, la pièce
Test Room fonctionne sur des schémas scientifiques auxquels
s'ajoutent comme des strates le mouvement des danseurs, la lumière d'une
projection et des sculptures. Inspiré des recherches en laboratoire de
Harry Harlow sur le comportement de bébés singes, on peut voir
agrandis à l'extrême le bol, les jouets mis à leur disposition
lors des tests. L'ensemble extrêmement sobre rappelle les décors
que Noguchi avait réalisés pour la chorégraphe Martha Graham.
Un film souligne cette relation puisque l'on peut y voir évoluer dans
un espace aseptisé les danseurs d'Anita Pace, le tout est entouré
d'une grande cage accentuant encore, comme s'il en était besoin l'aspect
effrayant de là recherche post-moderne. Avec le Voyeur (Peeping Tom)
dans les années 60, le cinéaste Michael Powell avait déjà
mis en image l'épouvante que peut engendrer la surveillance permanente
et profonde d'un individu, épouvante mise en scène et esthétisée
comme «un état des lieux» ici par l'artiste. Les installations
de Mike Kelley sont comme des décors à l'impact immédiat,
des structures dans lesquelles on peut s'immerger. Autre décor et autre
couleur, la pièce Framed and Frame déplace le cadre
japonisant de «la fontaine à souhaits de Chinatowm», laissant
d'un côté le portail à l'architecture sobre et de l'autre
un étrange paysage coloré. Cette curieuse forme poreuse relève
de l'informel, une idée qui est à la base du travail actuel de
Mike Kelley, elle s'appuie sur sa vision protéiforme de l'histoire où
les cultures se superposent en un chaos d'identité. Il juxtapose donc
les représentations approximatives de l'organique et du minéral
à la recherche d'un espace flou «trouble», capable de provoquer
la confusion et qu'il imagine insaisissable.
Hauviette Bethemont