Mike Kelley




 

«Uppercut Kelley»
Lyon Capital
, Lyon, 12 janvier 2000, p. 29

Mike Kelley est certainement l'un des artistes américains les plus intéressants qui soit. Né en 1954 à Detroit, il se lance dans les années soixante-dix sur tous les supports et sur toutes les formes artistiques de la danse au théâtre en passant par le cinéma et la musique avant de revenir sur la peinture, la sculpture et la peinture. II ne lâchera cependant jamais complètement la musique puisqu'il travaille avec le groupe Sonic Youth, dont il a conçu la pochette de l'album Dirty, et qu'il a été le cofondateur du groupe Destroy All Monsters. Le Magasin de Grenoble vient de lui offrir sa première exposition conséquente en France et présente deux pièces dont l'une a été réalisé pour l'occasion.

 

La forme

Les sculptures de Mike Kelley jouent à l'architecture et l'oeuvre «Test room containing multiple stimuli know to elicit curiosity and manipulatory responses" ne mesure pas moins de 18 mètres de long par 8 mètres de large! C'est une cage immense dans laquelle le public peut se promener. Mais derrière ces grilles, les objets ont pris des proportions inquiétantes, Mike Kelley a reconstitué ici les recherches scientifiques de Harlow (année soixante). Ce dernier étudiait le comportement des enfants qu'il testait sur de jeunes singes. Ainsi, il les privait de leur mère pour les jeter dans un environnement totalement inconnu : une pièce beaucoup plus grande, des objets peu familiers comme du papier froissé ou des arbres artificiels. Bref, il provoquait leur terreur. Mike Kelley dispose des mêmes moyens pour décaler complètement notre vision du modernisme. Sa cible en l'occurrence est la danseuse Martha Graham (1893-1991) et ses rapports avec son décorateur Isamu Noguchi. La danseuse exprimait du tout sexuel à travers des gestes archétypes alors que Noguchi mettait en scène la pureté des formes. Sur un des pans de la cage devenu écran, une vidéo passe en boucle, on y voit justement des danseurs s'agiter dans une ambiance clinique au milieu des objets géants transformés en décor qui enferment les mouvements. La pensée comme l'art des années soixante deviennent à travers le regard de Mike Kelley de véritables laboratoires. Il invite le spectateur à venir se frotter en grandeur réelle entre les grilles de sa cage et le mur d'image.

 

L'informe

Ce qui intéresse cet artiste américain c'est la recherche de l'informel et après le dur conditionnement scientifique de la cage, le public se trouve face à une étrange matière boursouflée, presque vivante. La deuxième sculpture est en fait une réplique de la fontaine à souhait de Chinatown, une construction protéiforme dont la forme aléatoire est due au temps et aux objets les plus hétéroclites que les gens y ont déposés. Curieux magma où se retrouvent des têtes de saints et de bouddhas, des casseroles et des verres. Cette masse imposante est coloriée de tâches aussi peu naturelles que possibles et l'ensemble reste complètement anarchique. Mike Kelley joue avec ce côté très kitsch du puits chinois dont il apprécie les strates. Des strates de culture qui effacent l'idée de frontière et rejoignent ainsi l'idée de l'informe. Le voyage au milieu de cette exposition est tout à fait intrigant, car la cage très en ligne droite mais doué de vie grâce à la danse prend une dimension irréelle face à l'étrange exotisme coloré du puits chinois. On navigue non seulement de formes en formes mais aussi à travers des ambiances très différentes. Mike Kelley nous raconte des histoires qui fonctionnent comme des décors immenses de cinéma et le public devient l'acteur muet de son scénario.

Hauviette Bethemont