Olaf Breuning


 

«série Z»
Les Inrockuptibles, paris, 26 nov. – 2 déc. 2003, p. 78-79

Apparu à la fin des années 90 et enfant gâté d’une génération d’artistes post-pop et parodiques, Olaf Breuning, qui expose à Grenoble et à Strasbourg, commence à tourner en rond.

A Grenoble, E.T. a l’air d’une vraie mère poule pour le petit groupe qui reste sagement derrière lui. Serrés les uns contre les autres, les spectateurs ont les yeux fixés sur une vidéo diffusée dans le dos du plus gentil des aliens. First, celle où un type avec un masque d’E.T. sur la tête se fait salement amocher par une bande de gros bras. Une manière pour Olaf Breuning de faire la leçon à ses spectateurs : à trop rester scotché à ses idoles, on risque de prendre le doigt d’E.T. pour une lanterne, et de se prendre soi-même pour un héros imaginaire. Risque largement calculé pour toute une génération perfusée aux films cultes et aux séries B, élevée au meilleur du fantastique et au pire de l’horreur.
Le jeune artiste suisse, à peine 30 ans, déjà star et New-Yorkais d’adoption, est carrément tombé dedans quand il était petit. Et il n’en sort pas vraiment. La preuve, la veille du vernissage de son autre expo à Strasbourg, il a passé la nuit à mater la nouvelle saison de 24 Heures sur son ordinateur. Bref, pas la moindre ironie dans l’art cinéphage d’Olaf Breuning. Une des photos exposées à Grenoble réunit d’ailleurs pas mal de ses références et personnages fétiches, les sœurs jumelles de Shining, les campeurs du Projet Blair Witch, les cowboys et les indiens, donc les westerns, Terminator 2, et même une des mutantes empruntée au monde baroque de Matthew Barney, sans oublier des top-models en collant chair cousines de celles de Vanessa Beecroft. Plus ou moins bien déguisés, tous posent comme des gens normaux, fixant l’objectif sans mimiques spéciales.
Le titre de l’image, They Live ! (copyright Carpenter), joue sur cette ambivalence. Venus de la planète Fiction, ces envahisseurs vivent à travers leurs fans et leurs fans vivent à travers eux. Entre quête identitaire, codes générationnels et troubles de la personnalité.

«Ils sont parmi nous» : le credo parano des films fantastiques est ici décliné dans un sens très plastique par l’artiste, doué pour manigancer des installations prenantes et dérisoires à la fois. À l’image de Hello Darkness, dans la dernière salle, où on est happé par un rayon de lumière jusqu’à une poupée gonflable, à poil dans son cercueil et gardée par des squelettes avachis qui vocalisent sur une bande-son electro. Chambre des merveilles gothiques ou lupanar nécrophile. Toc classe.
Bien mieux en tout cas que cette invasion de fantômes dans la vaste nef du Magasin, habillé de blanc par le styliste Bernhard Willhelm. Une file indienne de Casper, vision ni drôle ni hallucinée, pâles figures d’une œuvre anecdotique. Même chose avec la vidéo Ghosts, ciné-défilé qu’Olaf Breuning a réalisé pour le couturier belge. Montage linéaire, scénario bâclé, les jeunes filles sous ecsta qui se mettent à danser avec les fantômes n’emballent que leurs copains les spectres. On est loin ici des premières installations qui firent monter la cote d’Olaf Breuning dans les galeries Air de Paris ou MetroPictures à New York.
Comme ses zombies aux cheveux longs, armés de tronçonneuses et gueulant comme des sourds sur fond de guitares hystériques dans Ugly Yelp, vidéo sans scénar filmée à l’arrache en 2000. Présenté à l’origine sur une moto BMW cernée par le brouillard, à Grenoble, ce dispositif road-gothique cède la place à une simple projection grand format sur un mur de fausses briques ; une modalité trop cinématographique pour une vidéo qui n’a pas les moyens de rivaliser avec ses modèles, Massacre à la tronçonneuse ou L’Exorciste.
Autant aller au premier vidéo-club du coin ; Mais d’abord, on passe à Strasbourg, où Olaf Breuning met une dernière touche à son autre expo. Quelques heures avant le vernissage, il flanque deux verres de vin contre le mur d’entrée. Puis, en trempant ses doigts dans la flaque violacée, il écrit le titre : Under the Bridge. C’est là qu’il a tourné sa parodie de comédie musicale, une installation vidéo dont les héros sont des clochards, parce que c’est là qu’ils vivent : sous les ponts.
D’ailleurs, l’artiste a refait leur chez-eux, avec les bouteilles de vin et les canettes de bière par terre, le chariot où est couché un mannequin et un mur en ruine où, sur trois écrans, des clochards chantants jouent les révoltés ou les éplorés : bref, dans un décor lourdingue et un sens lacunaire du politique, Les Misérables version Olaf Breuning tournent à une mauvaise caricature du réel.

Judicael Lavrador