Olaf Breuning


 

« Effet spécial »
Upstreet, Paris, automne 2003, p. 56 à 59

Anaïd Demir, "Effet spécial", Upstreet, Paris, automne 2003, p. 56 à 59

On vous a élevé aux Chants de Maldoror et aux contes d'Edgar Allan Poe. Vous vouez un culte à Lyecraft. Vous avez été bercé par Faith No More et Cure pour ne citer qu'eux. Vos premières dents, vous les avez faites sur un candélabre et vous ne souffrez pas la vue d'une gousse d'ail depuis belle lurette. Vous adorez broyer du noir et compter les araignées pendues au plafond. Votre premier frisson cinématographique s'appelait Suspiria ou Inferno, signé du grand maître de l'horreur, Dario Argento. Et tout cela... entre deux escapades chaloupées au cimetière du coin.
Alors, Olaf Breuning est de ceux qui sauront titiller vos nerfs avec soin. Est-ce un lointain arrière petit cousin de Morticia Addams ? Qui sait. En tout cas, ce trentenaire Suisse n'a pas l'oeil charbon ni le teint blafard. Il se voudrait même plutôt sage. A ceci près qu'on l'entend facilement ricaner quand on évoque Halloween et qu'il arrive très bien à différencier la véritable hémoglobine du ketchup qui coule dans les veines de L'Affaire Blair Witch ! Son jeu favori consiste à démonter les mécanismes qui régissent le commerce de la peur.
Et il faut croire qu'il est lui-même pas mal habité. Par ses propres démons et fantasmes d'abord. Celles d'une adolescence qu'on imagine forcément un peu écorchée. Mais aussi par les mythes et légendes de l'industrie cinématographique, les contes fantastiques et leurs créatures féérico-romantiques... et surtout, tout ce que traîne la pop culture en guise de clichés rock, d'images d'Epinal gothiques, heavy metal, reggae... bref, teenage en général. Tous les attrapes-dollars prenant pour cible la tranche adolescente sont conviés. Breuning puise les ingrédients de ses oeuvres dans la pub, les clips, les jeux vidéo et surtout dans les films peine achevé. Sur les escabeaux, les rebords de fenêtres et au sol, la pièce est envahie de cierges aux flammes vacillantes. Mais revenons-en à Blair Witch, lune des premières oeuvres remarquées de l'artiste, Woodworld (98), semble faire une allusion directe à cette production gothico-grunge qui tourne autour dune bonne trouvaille, celle de la caméra-témoin et sujet. L'artiste propose au visiteur de frémir le long dun sombre couloir, à tâtons. Y résonne une inquiétante musique alors que des souffles d'air semblent se propager ici et là. La vidéo, au bout du couloir, est visible au prix de cette angoissante traversée. Qu'y voit-on? Des réminiscences. Plan fixe sur une Range Rover, sound system déployé, en pleine nuit dans les bois. Des effets qui suffisent à éveiller un semblant de frisson et d'en rire. Autour, d'étranges personnages dont des gnômes déguisés en squelette. Au loin, au milieu des fumigènes et autres effets, se découpe une soucoupe volante qui semble avoir été réalisée en un tourne-main pour les besoins d'un tournage de seconde zone.
Depuis, les fantômes chassés par Breuning croissent et se multiplient. Ils se déplacent toujours sur le mode tribal et souvent près du volant dune belle mécanique. Mais avec King en 2001, la belle bagnole n'est plus à l'arrêt. Elle est au centre d'un road-movie soit un autre genre cinématographique à parodier. Là, un chevalier en dread logs, torse tatoué et en short et baskets, est au volant de sa Range Rover rugissante. Il est en quête du Saint-Graal : son armure. Et comme dans un clip où se succéderaient des scènes à décrypter, la musique nous entraîne dans les séquences. Y apparaissent des personnages fantastiques qui oscillent entre rêve et cauchemar, vision ou réel.
Tout ce petit monde de mutants teenage et chevelus se met maintenant à agréablement proliférer au centre d'art du Magasin à Grenoble. Breuning y présente de nouvelles pièces dont "Apes" qui nous fait reprendre le tortueux chemin des bois. Un nouveau décor de cinéma qui nous jette dans les coulisses de la Préhistoire avec pour compagnons une bande d'orang-outang au regard phosphorescent.
Avec Hello Darkness !, c'est une fois de plus le film d'horreur est mis à mal. Le visiteur est propulsé dans un monde sombre et enfumé, au centre d'une bibliothèque dévastée. Dans la pénombre, des silhouettes se dessinent: une poupée gonflable repoussée hâtivement dans son cercueil. Un squelette qui converse avec la mort alors qu'une sonnerie de portable gémit sans fin dans cette atmosphère énigmatique et troublée. Mais fumigènes, stroboscopes et bulles de savon viennent remettre en question ces mises-en-scène macabres. Et les gardiens de notre imaginaire adolescent torturé déploient à nouveau leurs ailes. Nous revoilà à broyer du noir, mais cette fois avec délice.
Alors.., vous reprendrez bien une dose d'effets spéciaux et d'enchantement.

Anaïd Demir