Olaf Breuning


 

«Tendances au massacre»
Le Journal des Arts, Grenoble, 7-20 novembre 2003, p. 11

À Grenoble et à Strasbourg, Olaf Breuning glisse sur les ficelles de la peur et de la mode.

Plus que la facilité avec laquelle on peut filmer les grands moments de la vie, c’est la touche nightshot que l’on devrait retenir comme l’apport essentiel du caméscope numérique à l’esthétique de la fin des années 1990. Également connue sous le nom de «blair witch effect» en référence au film culte Blair Witch Project qui l’a popularisée, cette touche permet de filmer la nuit, moyennant un grain fort et une image noir et blanc virant au vert. Pour Ugly Yelp (2000), Olaf Breuning a fait un usage immodéré de la chose. Placée en ouverture de la monographie que le Magasin de Grenoble consacre à l’artiste suisse – en concomitance avec la présentation d’un installation inédite au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg -, la vidéo saute d’une séquence satanique à l’autre, portée par une rythmique de guitare saturée. Dans ce faux snuff-movie, des hard-rockers en pantalon de cuir et torses nus défoncent à coups de pieds des poussettes, jouent avec leur tronçonneuse ou sacrifient des jeunes filles sur le capot d’une Smart. Avec sa palette restreinte mais riche en frisson, le blair witch effect va comme un gant à Olaf Breuning. L’effet comme l’œuvre de l’artiste sont hyperréférencés et contemporains du renouveau du cinéma de genre. Daté de 1999, le poster photographique de They live ! apparaît aujourd’hui comme la matrice de l’œuvre. Sur cette image de 3 mètres sur 4, s’étale la cartographie des références populaires d’un trentenaire occidental : Jajar – l’un des personnages de la Guerre des étoiles – voisine avec des cow-boys ; des adolescents en jean forment un groupe, à côté d’un autre constitué par des enfants et un panda géant, sans parler de l’être hybride – sorti d’un bon vieux Matthew Barney – allongé sur le toit d’un bus. Au centre d’art grenoblois où sont présentées une quinzaine d’œuvres, tout ce petit monde saute de photographie en installation en passant par la vidéo, d’autant que Breuning mèle parfois les supports. Le vidéo-clip de King est projeté face à la carcasse de son héros et des bruits blancs – équivalents sonores de la coupure d’un enregistrement vidéo – scandent le diorama de Apes (2001). Entre le Muséum d’histoire naturelle (les singes empaillés) et la boîte de nuit (machine à fumée, éclairage), cette scénographie représente avec ses faux arbres et sa terre l’une des rares tentatives d’encerclement du spectateur. La plupart du temps, les œuvres de Breuning privilégient la frontalité, assumée par ses personnages aux yeux écarquillés. Dans First (2003), premier volet d’un moyen-métrage en gestation, l’un d’entre eux a pris l’apparence d’un yuppie hystérique et caméléon, tour à tour rentier désœuvré, cow-boy et rappeur. Tout droit sorti du roman American Psycho de Bret Easton Ellis, il rôde entre différents univers (jet-set, Far West, hip hop), avant d’achever sa journée en passant à tabac un jeune Amish préalablement couvert d’un masque de E.T. Grand guignolesque, la violence est chez Breuning à comprendre comme tout le reste : un pur langage de surface. Sans surprise, l’artiste a reçu un accueil chaleureux dans le milieu de la publicité comme dans celui de la mode. Son dernier court-métrage, Ghost (2003), s’est naturellement construit autour d’une commande du styliste Bernhard Willhelm. Les fantômes de l’artiste y épouvantent des nymphettes de magazine.

O.M.