Réouverture du MAGASIN
« Le MAGASIN grande surface de création »
Beaux Arts, Paris, Février 2006, p. 62-63
L'histoire de ce centre d'art contemporain, créé en 1986, en dit
long sur les relations entre les institutions et les artistes.
Sa réouverture
sera-t-elle l'occasion d'une réconciliation nationale ?
Simple hasard de calendrier, heureuse coïncidence qui juxtapose deux événements
aussi significatifs que symboliques : alors que le Magasin a rouvert ses portes
le 2l janvier avec une verrière restaurée, c'est au tour du musée
d'Art moderne de la Ville de Paris [MAMVP] de rentrer dans ses meubles, après
plus de deux ans de travaux [lire p. 5,4 et p. 64]. Le Magasin, comme l'ARC
(département contemporain du MAMVP) ou le CAPC de Bordeaux, c'est un
peu une histoire de famille marquée par l'héritage d'une pensée
engagée des années 1970, par les débats sur les relations
entre l'État, la création et la recherche, enfin par les grands
projets de décentralisation de l'ère Mitterrand. Des espaces
qui ont incarné la possibilité de produire des formes d'art en
phase avec le présent de la création. Le Magasin est d'abord
un lieu porté par des personnalités fortes, dans une région
particulière, Grenoble, ville pilote pour l'industrie technologique.
C'est aussi le premier centre d'art installé dans une friche indutrielle,
une halle de 3 000 m2 construite par les ateliers de Gustave Eiffel.
Reconverti
en 1985 par Patrick Bouchain, le Magasin conserve le monumentalisme
de sa structure métallique. Bouchain a alors cette vision d'un espace
modulable entre «les Galeries» (espaces d'expositions) et «la
Rue», ainsi nommée en raison de ses dimensions. C'est dans cette
zone qu'ont pu être déclinées les expériences les
plus ambitieuses, notamment les installations monumentales de Daniel Buren,
Richard Long, Michelangelo Pistoletto. Les Galeries permettent, elles, de produire
des monographies d'artistes ou d'inviter de jeunes commissaires à investir
l'espace. Qualité prospective qui s'inscrit dans la logique de l'école
du Magasin, première en Europe à dispenser un enseignement aux
pratiques du commissariat d'expositions. Cette formation a vu naître
une génération d'artistes et de professionnels de l'art qui occupent à présent
une place importante (Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster, Louise
Neri, Nathalie Ergino...). Un parcours rétrospectif permet d'apprécier
l'étonnante cohérence de la programmation depuis 1986 : il s'agissait
d'insister sur le rôle des relations internationales, des artistes invités,
sur les conditions de production des pièces comme sur la nécessité de
sortir des mécanismes d'évaluation des musées et de la
logique de conservation. Cohérence quelque peu entamée cette
dernière décennie, le directeur Yves Aupetitallot ayant dû faire
face à un changement de «climat». «Mes
prédécesseurs
avaient été portés par une politique volontariste de l'État,
généreuse avec les budgets publics. Les enjeux étaient
ceux d'une reconquête des positions et d'une promotion des artistes français
sur la scène internationale. Les années suivantes seront marquées
par le reflux de ces mêmes politiques sur l'art contemporain, victime
d'un désamour complet.» Espérons, à l'heure de
cette remise à neuf, que soit aussi restaurée l'image que se
font les politiques de l'art et de ses contemporains.
Stéphanie MOISDON
A VOIR
Reprenant à son compte la phrase de Jean-Luc Godard «Je
ne veux parler que de cinema, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma,
on parle de tout, on arrive à tout», l'exposition «Cinéma(s)» s'appuie
sur l'histoire et la géographie de Grenoble dans les années 1970
(les expérimentations de Beauviala-Godard, l'invention d'une des premières
télés de proximité) pour construire un récit sur
les modes de production et de fiction des artistes depuis ces trente dernières
années.
Juste à côté, sous la verrière de «la Rue»,
sous le titre «Changement de climat», l'artiste anglais Michael
Craig-Martin couvre les 770m2 de murs d'un gigantesque papier peint vinyl.
Une oeuvre monumentale éphémère,
produite à partir d'objets contemporains issus de son vocabulaire de
formes et de récits, qui fait revenir sur le devant de la scène
l'une des grandes figures fondatrices de l'art conceptuel.