Réouverture du MAGASIN
"L'art contemporain à Grenoble à nouveau
en Magasin"
Le Monde, Paris, 26 janvier 2006, p. 27
Le Magasin, centre d'art contemporain de Grenoble, a rouvert samedi 21
janvier après deux ans de travaux. Le bâtiment, conçu en
1900 par les ingénieurs de Gustave Eiffel, était vétuste,
les variations de climat faisaient jouer les meneaux de fer de la verrière,
exploser les vitres, et laissaient la pluie inonder régulièrement
la halle. Après démontage et réfection des 900 m2
de la verrière centrale, pour un montant de 1,9 million d'euros financé par
la ville, le ministère de la culture, le conseil général,
la région et une aide symbolique de l'Union européenne,
il y fait toujours aussi froid, mais il n'y pleut plus.
Apparemment, rien de changé. La nef centrale est toujours aussi impressionnante,
et vide. Les habitués pourtant seront surpris par la lumière
nouvelle : les vitres ont perdu près d'un siècle de crasse. Le
soleil tombe sur les poufs cubiques signés Matali Crasset. La designer
s'est laissée inspirer par l'actualité de l'endroit puisqu'il était
en chantier, elle a utilisé des sacs conçus pour recueillir les
gravats. Pour le confort, ils sont remplis de carton, puis joliment
repliés. L'ensemble est convaincant et disposé de manière à respecter
la vision des murs peints pour la réouverture par l'artiste britannique
Michael Craig
Martin. Lequel a aussi dû être inspiré par le génie
du lieu puisque son oeuvre, monumental assemblage de papier peint, collé sur
770 m2 de surface, s'intitule Changement de climat.
C'est pourtant à un regard sur le passé local qu'invite Yves
Aupetitallot, directeur du Magasin, pour sa principale exposition inaugurale, « Cinéma
(s) », car Grenoble, s'en souvient on, a abrité quelques pionniers
en la matière. Et d'abord Jean Pierre Beauviala, qui
y créa en 1971 a société Aäton. Il y concevait des
caméras. « En fait, confiait il en 1985 à L'Autre
Journal, je suis venu au cinéma par l'urbanisme (...). Un jour, j'ai
voulu faire un film qui montrerait que le phénomène des quartiers était
essentiel, que dans les villes neuves qu'on nous promettait à l'époque,
c'était en 1968, cet aspect fondamental du quartier était abandonné... »
Un
atelier sans contraintes
Vision prophétique à plus d'un titre, qui lui fait concevoir
d'abord une caméra susceptible d'être portée à l'épaule,
puis une autre, de la taille d'une lampe de poche, qui fit carrière
sous le nom de « Paluche ». Il s'agissait d'être plus
près du réel. L'engin et son concepteur attirent à Grenoble
des personnalités comme Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville.
Mais la ville est aussi pionnière dans deux autres registres la première
télévision câblée de proximité y est
créée en 1974, et un professeur de dessin, Pierre Casalegno,
crée dans son lycée un atelier ouvert, sans contraintes d'horaires
ni de pédagogie. Sur ses bancs se rencontreront des jeunes gens nommés
Philippe Parreno, Dominique Gonzalez Foerster, Pierre joseph, Philippe
Perrin, Bernard Joisten ou Claire Chevrier qui, avant de devenir des vedettes
de l'art contemporain, ont appris là-bas à travailler en commun,
et à aimer les images qui bougent.
C'est ce contexte que restitue l'exposition « Cinéma (s) »,
dominée par la figure d'un des grands professeurs de l'école
de Grenoble, Ange Leccia, et qui ne se limite pas à la projection
de films. On y reverra par exemple la terrible installation de Philippe
Perrin, Know Your Rights. Hommage à Jacques Mesrine, une BMW
aux portières
ouvertes, l'autoradio poussé à fond diffusant une chanson des
Clash, et le pare brise criblé d'impacts de balles. Ou le plus
sympathique mais tout aussi inquiétant personnage d'Ann Lee, une
figure de manga (dessin animé japonais) rachetée à ses
concepteurs par Dominique Gonzalez Foerster, Philippe Parreno et Pierre
Huyghe, puis confié à une vingtaine d'autres artistes qui
filèrent ces dernières années leurs propres variations
sur ce thème. Une exposition indispensable pour qui veut comprendre
la genèse d'un pan de l'art contemporain français.
HARRY BELLET
REPÈRES
L'histoire du Magasin fait l'objet d'un beau livre d'Yves
Aupetitallot (éd. JRP Ringier, 256 p. , 60 €).
Inauguré en 1986, le centre d'art imaginé par
Pierre Gaudibert (mort le 17 janvier, lire Le Monde du 24 janvier) a d'abord été dirigé par
Jacques Guillot, qui souhaitait lui donner une dimension internationale et
le doubler d'une école chargée de former aux pratiques de l'exposition.
Lui succéda Adelina von Furstenberg, à la programmation brillante
mais à la gestion hasardeuse.
En 1996, après dix huit mois de vacances, Yves Aupetitallot
prit la direction du centre, menacé de fermeture, et lui donna une nouvelle
impulsion. Il vient de confier à l'artiste Claude Closky un site Internet
(www.magasin cnac.org) où sont invités soixante autres artistes.