Réouverture du MAGASIN
« Le Magasin fait son cinéma(s) »
Journal des Arts , Paris, 3 au 16 février 2006, p. 11
Réouverture
Le centre d'art grenoblois rend hommage aux artistes de sa région.
Située au carrefour de l'Europe, Grenoble (Isère)
a marqué le paysage artistique français de ces vingt dernières
années. Entre l'École des beaux-arts, où nombre d'artistes
a fait ses classes dès la fin des années 1980, et le centre d'art
du Magasin, qui a vu défiler la crème des artistes internationaux,
la ville a joué un rôle non négligeable dans l'histoire
récente de l'art. Le Magasin lui rend hommage avec l'exposition «Cinéma(s)».
Fermé depuis deux ans pour cause de travaux importants, c'est sous un
jour éclatant que nous apparaît ce centre d'art de plus de 9000m2,
abrité dans un bâtiment conçu au début XXe par les
ateliers Eiffel. Sa verrière, enfin restaurée, laisse désormais
pénétrer une éclatante lumière. Le Britannique
Michael Craig-Martin en profite le premier avec un immense Wall
Drawing naturellement
intitulé « Changement climatique ». Dans la partie «galeries»,
l'exposition «Cinéma(s)» revient sur le spectre cinématographique
qui hante l'histoire artistique de la ville depuis plusieurs décennies
déjà. C'est à travers le regard de Jean-Luc Godard, qui
a marqué toute une génération d'artistes actuels, que
commence la visite. Une courte séquence du Mépris est
revisitée
et passée en boucle par Ange Leccia : la muse des sixties,
Brigitte Bardot, y crève l'écran. Philippe Parreno rend de son
côté hommage
au cinéaste à travers une installation dans laquelle est imitée
sa voix, racontant à des enfants une histoire autour d'une pierre.
Ennemi
public numéro un
Attiré par les caméras de pointe conçues par la société Aäton,
Godard a séjourné quatre ans à Grenoble. Quasi simultanément,
en 1972, Vidéogazette, la première télévision locale,
commence à émettre à Grenoble. Cette histoire est rappelée
dans l'exposition dans une section documentaire.
Mais « Cinéma(s) » est surtout l'occasion de rendre hommage à ce
qui, dans les années 1990, a été nommé «l'Ecole
de Grenoble». En effet, aux Beaux-Arts, une poignée d'artistes,
tels Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parreno, Bernard Joisten ou Pierre
Joseph, explorent les possibilités
de l'image, la mettent à l'épreuve du réel, y infiltrent
le temps cinématographique, impliquent les questions de production.
Autre temporalité
Des projets comme «Ozone» ou «Sibéria» présentent
des objets qui, comme des éléments de décor, permettent
de passer de l'autre côté... du miroir ou de la caméra.
Pierre Joseph a lui convoqué le jour du vernissage de véritables êtres
en chair et en os, qui, immobiles, ont transformé par leur seule présence
l'exposition en une réelle fiction, avant de disparaître et ne
laisser qu'une photo-témoin. Autour d'une BMW dont le parebrise est
criblé de
balles, Philippe Perrin nous fait revivre, dans une oeuvre de 1991, la fin
de l'« ennemi public numéro un » des années 1970,
Jacques Mesrine.
« Cinéma(s) » permet au visiteur de remonter
le temps, de jouer avec le réel et les écrans. Ann Lee, le personnage
fictif dont Pierre Huyghe et Philippe Parreno ont racheté les droits à une
société japonaise de mangas, y est présenté à travers
les oeuvres d'artistes tels Rirkrit Tiravanija, Liam Gillick ou Mélik
Ohanian. Et la question d'une autre temporalité est abordée avec
une installation vidéo d'Ange
Leccia, qui retranscrit une réalité télévisuelle
et interroge à travers celle-ci une idée de la simultanéité.
Plus jeune, Christelle Lheureux participe de cet héritage. Et, comme
pour boucler la boucle, à l'entrée comme à la
sortie de l'exposition, une scène du film Alphaville de Godard
joue avec les perspectives du lieu et repousse encore les limites de l'écran.
Anaïd Demir