Réouverture du MAGASIN



 

"Un Magasin tête de l'art ?"
L'humanité, Paris, 24 janvier 2006


Avril 1986. Dans un ancien bâtiment industriel, la halle Bouchayer-Viallet et dans un quartier périphérique de Grenoble, l'ouverture du Magasin, Centre national d'art contemporain, est un événement. C'est l'une des premières ouvertures de tels lieux en province. C'est l'une des premières reconversions d'une usine en lieu d'exposition, et c'est aussi un parti pris artistique. Au moment où l'on polémique autour des célèbres colonnes rayées de Daniel Buren, au Palais-Royal à Paris, la polémique sortant même des milieux informés pour devenir politique et publique avec des levées de boucliers de la droite, c'est Daniel Buren qui essuie les plâtres du Magasin avec une oeuvre appelée Diagonale pour un lieu. Une série de cadres de bois portant les emblématiques rayures de l'artiste va emmener le regard vers les trois baies vitrées du fond de l'usine, bleuies par les produits chimiques et peut-être le bleu ancien de la défense passive, leur donnant la beauté de vitraux. L'usine devient cathédrale, la magie a opéré, et l'ancien membre du groupe BPMT (Buren, Parmentier, Mosset, Toroni), pour qui la peinture était morte, a réussi.
Samedi 21 janvier 2006, vingt ans après, le Magasin, fermé pendant quelque temps pour d'indispensables travaux (la verrière prenait l'eau), fête sa réouverture. Le bleu des baies a malheureusement disparu, l'ancien vitrage étant, semble-t-il, non conforme aux nouvelles exigences de sécurité. Dommage, mais c'est un peu anecdotique et l'intérêt des Grenoblois pour leur Centre d'art contemporain ne s'est pas démenti, qui s'y sont pressés par centaines pour ce premier jour avec fête, DJ, musique à fond les baffles après l'épisode obligé - mais long - des discours officiels.
Magasin. C'était inscrit sur la porte bleue de l'usine. Le premier directeur du lieu, Jacques Guillot, disparu prématurément en 1988, l'avait gardé ainsi. Le bâtiment quand à lui n'est pas n'importe quoi. Cette halle de 3 000 mètres carrés, construite par les ateliers de Gustave Eiffel pour l'Exposition universelle de 1900 à Paris et donc contemporaine du Grand-Palais et de la tour, avait été achetée par deux industriels grenoblois ouvrant dans l'énergie hydraulique (dont Grenoble fut l'un des hauts lieux), et démontée puis remontée. Ses dimensions, avec un vaste espace vide au milieu, se prêtaient d'emblée à des expositions à caractère monumental, en même temps qu'à des créations réalisées pour le lieu et dans le lieu considéré comme un atelier pour les créateurs. En 1987, Michelangelo Pistoletto choisit de laisser l'espace vide mais l'encadre de panneaux passés au noir comme avec un énorme fusain; Sol Lewit, l'année suivante, y installe une pyramide de béton; Richard Long, une vaste ligne de charbon; Jacques Villeglé, un mur d'affiches; Anish Kapoor, en 1990, crée un paysage de grandes pierres d'un bleu proche du célèbre bleu de Klein; Gino de Dominicis, la même année, allonge sur le béton un squelette géant... Les grands noms de l'art contemporain se succèdent. En 1999, Xavier Veilhan dresse une forêt de feutre, Sylvie Fleury en 2002 invite à entrer dans un superbe univers de cristaux lumineux, Olaf Breuning convoque en 2004 un inquiétant cortège de fantômes - Ange Leccia en 1990 leur avait préféré deux énormes bulldozers. A chacun son monde hanté...

EN DIRECTION D'UN PUBLIC POPULAIRE
Cette ouverture, dans la décennie 1980, avec des financements de l'État, de la région, du département et de la ville, correspond alors à une ambition décentralisatrice. Il s'agit aussi de dynamiser la scène artistique en propulsant les artistes français et en s'ouvrant largement à la scène internationale, non sans susciter diverses réactions.
Entre tête de turc et tête de l'art, la frontière est parfois mince. Seul en France le CAPC de Bordeaux, créé en 1974, correspond à cette vocation en prise avec l'art en train de se faire. Il ne s'agit donc pas, dans cette perspective, de montrer dans des lieux accueillants des oeuvres préexistantes, mais bien d'être dans le temps réel de la création et cela en direction d'un public que l'on souhaite vaste, voire populaire, de par l'implantation même du lieu dans un quartier qui a priori n'est pas franchement bobo et branché.

EVOLUTION NEGATIVE DU BUDGET
Dans le même temps, le Magasin se dote d'une école d'art, dont certains des professeurs sont Jean-Luc Vilmouth, Ange Leccia, Georges Rey. Il s'ouvre largement aux techniques vidéo, qui s'imposent certes partout sur la scène artistique dans cette même période, mais qui prennent une importance particulière à Grenoble. Jean-Claude Beauviala y a inventé en 1973 la première caméra dite "le chat sur l'épaule".
Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville ont résidé pendant quatre ans dans le quartier de la Villeneuve, conçu comme une conception nouvelle de la ville. C'est donc fort logiquement que l'une des trois expositions de cette réouverture est consacrée au cinéma et à la vidéo. La rue, c'est-à-dire l'espace central, accueille quant à elle un vaste décor de Michael Craig-Martin, sur 770 mètres carrés, représentant une soixantaine d'objets familiers géants. Claude Closky présente les oeuvres en ligne de soixante artistes. Le magasin va-t-il pour autant rester fidèle à sa vocation? Son directeur actuel, Yves Aupetitallot, évoque l'évolution négative de son budget au cours des dernières années: « La rue ne permettra bientôt plus que la création d'oeuvres dont le propos sera celui du recouvrement de ses murs.» Mais c'est aussi pour développer une nouvelle vision, celle d'une plate-forme qui rassemble une communauté artistique dont les différents acteurs sont conviés à construire du sens destiné à un usage collectif». Il faut en accepter l'augure, mais est-ce à dire que le Magasin ne sera plus en tête de l'art?

Maurice Ulrich