Réouverture du MAGASIN
«L'espace doit s'adapter à l'artiste»
le Temps, Suisse, 24 janvier 2006, p. 33
Institution. Le Magasin, Centre national
d'art contemporain de Grenoble, a rouvert ses portes ce week-end, après
des travaux de rénovation. Il fête aussi ses vingt ans et sa direction
réfléchit à la façon dont il doit évoluer.
Centre
national d'art contemporain (Cnac), réputé et installé à Grenoble, le Magasin a rouvert ce week-end. Ses activités avaient été mises en sommeil depuis l'automne 2004. Afin de permettre la réfection de sa verrière. Importante (1600 m2), dans cette halle industrielle de type Eiffel, elle laissait passer l'eau. Au péril de la sécurité des
oeuvres et du public.
Les Suisses romands se sont toujours montrés attentifs à ce qui se passait en ces lieux. Pour plusieurs motifs. Divers artistes helvétiques, comme Gianni Motti, Fabrice Gygi, John Armleder, Sylvie Fleury, Olaf Breuning y ont reçu un bel accueil. Adelina von Fürstenberg, qui avait mis sur pied le Centre d'art contemporain de Genève, dirigea pour quelque temps la destinée du Magasin. Et son directeur actuel, Yves Aupetitallot, est aussi le Chargé de mission pour la concrétisation du nouveau musée des beaux-arts de Lausanne. Alors que son institution grenobloise redémarre, le projet lausannois, qu'il a pourtant amené jusqu'au concours d'architecture avec désignation des mandataires, reste en veilleuse pour d'autres priorités financières de l'Etat de Vaud. On peut imaginer que cette panne le laisse déçu. Il a préféré éluder nos questions à ce sujet. Retour donc à la situation du Magasin dont sont également fêtés
les vingt ans d'existence et les dix ans de direction d'Yves Aupetitallot.
Le Temps : Pouvez-vous nous rappeler le contexte de la naissance
du Magasin?
Yves Aupetitallot: Elle est à replacer dans l'histoire de la politique culturelle des années 80. A ce
moment-là le constat est sévère pour la scène artistique française. Elle n'a plus voix au chapitre. Et le souci de Jack Lang, le ministre de la Culture d'alors, c'est de redonner à cette scène
artistique nationale une position importante dans le contexte international.
Il dote par exemple la Nouvelle Biennale de Paris d'un budget important et
de structures plus efficaces. Dans le cadre de la décentralisation il pousse la réalisation de Centres nationaux d'art contemporain en province. C'est une politique volontariste. Et le Magasin est l'un des outils de ce repositionnement. Il fait en plus partie des tout premiers projets présidentiels de François Mitterrand.
- Etonnant, par contre qu'on l'ait
installé dans une friche industrielle, non?
- Il y a déjà en France l'exemple du Capc de Bordeaux, créé en
1974 et abrité dans les anciens Entrepôts Lainé. Et il
y a à Schaffhouse, en Suisse, les Hallen
für Neue Kunst. Ce bâtiment industriel réaménagé pour
la présentation de la collection Crex a beaucoup intéressé les
Français qui s'y sont rendus. Pour l'accord qui s'établit entre
un cadre brut et des préoccupations qui s'appuient à ce moment-là sur
une esthétique de la matière, comme les sculptures de Richard
Serra en acier corten rouillé ou les peintures d'Anselm Kieffer mélangées
d'huile et de sable. Et donc le
Magasin s'inscrit un peu dans ça.
- Comment qualifieriez-vous votre programmation par rapport à
celle de vos prédécesseurs?
- Jacques Guillot, le fondateur, avait pour mission de mettre en
évidence l'institution. Donc, pour cela, il a invité un certain
nombre d'artistes comme Richard Long, comme Robert Barry, John Baldessari, comme
Daniel Buren qui avaient une forte notoriété. Et il s'est appuyé sur
ces notoriétés pour faire connaître le Magasin, pour lui
donner une stature importante. Après la mort brusque de Guillot, Adelina
von Fürstenberg développera à plus grande échelle,
ce qu'elle avait fait auparavant à Genève, au Centre d'art contemporain.
J'arrive en 1996 avec un profil différent, d'historien d'art et de critique.
Et je vais, contrairement à mes prédécesseurs, proposer
beaucoup d'expositions collectives. A partir de ces plates-formes, je dirais
que j'ai essayé de développer des positions sur l'art, de dire
des choses sur l'art.
- Et maintenant, après cette pause
forcée?
- Je vais toujours me montrer attentif à diversifier les types de sensibilités. Mais les temps changent et les artistes aussi. Ils reviennent aujourd'hui à des univers plus intimistes, réclament des espaces plus modestes. Nous allons donc revoir cette question. Ainsi, dès 2007, des travaux de restructuration en espaces plus souples, avec des formats de salles moins importants, devraient être entrepris. L'espace doit s'adapter à l'artiste.
Les temps changent et forcent à réfléchir
Au nouveau Magasin, trois expositions très différentes cohabitent.
Les accrochages sont très différents. Il faut y voir la volonté de l'institution d'être dans les changements de l'époque. Un symposium de l'Ecole du Magasin a eu d'ailleurs pour thème, ce samedi: Les Temps changent. Et A la Une, l'une des trois expositions montre les oeuvres virtuelles, créées sur le site www.magasin-cnac.org par les 60 artistes invités par Claude Closky au fil des 60 semaines de travaux de rénovation. Au Magasin, le visiteur peut les visionner sur grand écran. Nouveaux médias et nouvelles pratiques sont ainsi à l'honneur.
La deuxième exposition est plus classique, plus dans les habitudes du
Cnac, puisqu'elle consiste en une oeuvre murale sur les parois de la "Rue",
l'espace central du Magasin. Cette tradition a marqué les esprits. Le
livre, publié pour les 20 ans du Magasin, souligne cette particularité en
présentant chacune de ses réalisations monumentales en double
page, et sur plusieurs pour certaines.
L'artiste sollicité pour la réouverture, Michael Craig-Martin (né à Dublin en 1941), a créé sur ordinateur, aux mesures de cet espace (140 mètres linéaires sur une hauteur de cinq à sept mètres), un gigantesque papier peint en vinyle qui a été encollé sur les 770 m2 de parois. Ce déroulé présente une soixantaine d'objets géants, du porte-bouteilles évoquant Marcel Duchamp jusqu'au téléphone portable actuel. Les objets sont dessinés dans un style linéaire, sur un fond de couleurs dégradées du magenta au bleu turquoise, qui justifie l'intitulé: Changement de climat.
Créateurs internationaux
L'allusion est à prendre comme chacun veut l'entendre. Toujours est-il que la troisième exposition, Cinéma(s), installée dans les galeries, joue sur cette subtilité. Mis sur pied pour replacer la France sur la scène artistique mondiale, le Centre l'a fait en invitant des créateurs de notoriété internationale. Mais, ici, il se permet de rappeler, à travers une vingtaine d'oeuvres (rushes de films, vidéos, photographies, installations) de ces trente dernières années, qu'il y eut une production locale très caractérisée.
Tout commence au début des
années 70, lorsque Jean-Pierre
Beauviala, organisateur du ciné-club de Grenoble, met au point la caméra "paluche" qui
lui permet de concrétiser le cinéma de proximité qui l'intéresse.
Le concept et le matériel attirent Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville à Grenoble
(1974-78). Et ces expériences, via la vidéo, via la convivialité,
ont contaminé deux à trois générations d'enseignants
et d'élèves de l'Ecole d'art de Grenoble, comme Ange Lecria,
Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parreno, Pierre Huyghe. C'est ce que
raconte l'exposition au public grenoblois. Aux autres, la présentation
signale que cette réflexion s'est beaucoup menée en multipliant
les collaborations et les oeuvres collectives.
Cette référence aux collectivités, le président du Magasin, Daniel Janicot, l'a retournée à sa façon dans son exposé de vernissage, indiquant qu'"il y a toute une réflexion à mener sur les modèles de gestion" des centres d'art tels que le Magasin. Au moment où la concurrence s'intensifie, où les financements publics s'étiolent tandis que les engagements privés deviennent plus conséquents, le débat en effet est à lancer sur les modalités et les équilibres à trouver pour l'intérêt de tous. Et il ne concerne pas que Grenoble et la France.
Philippe Mathonnet