Review : vidéos et films Collection Pierre Huber
"Changer l'image des images"
Les Affiches de Grenoble, Grenoble, 30 juin au 6 juillet 2006,
p.140-141
Une exposition de vidéos ? Il fallait le faire ! Le Magasin l'a
faite ; et c'est bien
fait. C'est même fort bien fait... Sur la création vidéo,
un
genre artistique dont
on parle énormément, mais que l'on connaît finalement
peu , le centre
national d'Art contemporain de Grenoble propose une
exposition, qui sera pour
beaucoup une véritable révélation ; et qui pourrait bien
changer l'image que
nous nous faisons des images. Inutile de cacher plus
longtemps notre
engouement : voilà indiscutablement l'exposition de
l'été!
Autant l'écrire d'entrée : je me suis rendu à cette
exposition en maugréant,.. et j'en suis reparti complètement
enthousiasmé.
Il faut admettre que le projet du Magasin pouvait faire craindre le pire
: consacrer une exposition entière aux œuvres vidéos, c'était
risquer à tout instant l'indifférence et l'ennui. Tout amateur
d'art contemporain a l'expérience de ces expositions alignant de bêtes écrans
de télévision, sur lesquels sont projetées des images
approximatives et mal filmées, censées donner à voir
quelque performance (plus ou moins performante) d'un artiste cherchant à masquer
ses baisses de régime derrière des extravagances tombant le
plus souvent à plat. Voilà qui devait être dit. Mais,
d'un autre côté, on savait le Magasin capable de relever le défi,
ainsi que l'avait prouvée la mémorable exposition dédiée
en 2002 au jeune artiste californien Doug AITKEN, dont les photographies
et les vidéos
avaient alors marqué les esprits, par leur précision, leur maestria
technique, leur dimension proprement poétique... et la qualité scénographique
dont l'équipe du centre national d'art contemporain avait su faire
preuve à cette occasion. On aura compris qu'on attendait cette équipe
là au
tournant; et qu'elle s'en doutait un peu. En conséquence, elle s'est évertuée à contourner
tous les pièges; et elle s'en est admirablement bien tirée.
En choisissant de présenter la collection du fameux galeriste
genevois Pierre HUBER, le directeur du Magasin, Yves AUPETITALLOT,
a décidé d'opter
pour des axes forts, et de s'y tenir. Ainsi, dans un fonds comptant une grosse
centaine d'œuvres vidéos, il a pris le parti de n'en sélectionner
que dix-sept, afin que le visiteur ne se lasse pas - tant on sait qu'un
trop d'images tue l'image. Il a opté ensuite pour un éventail
d'œuvres récentes
aussi ouvert que possible, de façon à ce que cette variété donne à voir
les différentes tendances de la création vidéo, telle
qu'elle se pratique aujourd'hui. En dernier lieu, il a fait en sorte que
chaque œuvre soit présentée strictement selon les instructions
de l'artiste; ce qui n'est pas allé sans mal.
Pour répondre à cette exigence, le personnel de l'établissement n'a effectivement pas lésiné sur les efforts, réaménageant intégralement les espaces d'exposition: création de nouvelles salles (parfois d'une surface considérable), construction d'un mur courbe, etc. Du coup, l'art vidéo, longtemps cantonné à l'échelle intimiste de l'écran cathodique, se pare soudain d'une dimension carrément monumentale. Pourtant, nous sommes ici plus proches de la sculpture ou de l'installation, que d'une simple projection. Il est vrai aussi que les progrès technologiques permettent depuis peu à la vidéo de donner sa pleine mesure; et, aux côtés des autres disciplines artistiques, de se faire une vraie place, ne devant pas plus à la grosse machinerie cinématographique qu'au décervelage télévisuel routinier. On comprend bien, dès lors, que cette mise en valeur de l'art vidéo passe non seulement par sa mise en scène, mais plus proprement par sa mise en espace.
Car l'espace - et c'est peut être bien cela, la prise de conscience
qu'engendre cette exposition - participe directement, pleinement,
intimement, des œuvres vidéos. Soit qu'un élément
architectural se trouve immédiatement
intégré à l'œuvre (c'est le cas de Sylvie FLEURY, qui
projette sa vidéo Strange Fire sur un mur posé au milieu
d'une salle et se détachant visuellement de ce qui l'entoure par un
fort éclairage
installé derrière lui); soit que l'œuvre ne trouve son
sens que dans un espace donné (c'est le cas de STURTEVANT,
qui arrange sept écrans à la file dans un lieu étroit,
rendant délibérément mal aisée l'évolution
des visiteurs autour de l'œuvre); soit que le positionnement des dispositifs
de diffusion de l'image structure l'espace (c'est le cas de Candice BREITZ,
avec l'œuvre Karaoke, qui encercle littéralement le
visiteur et crée
autour de lui un véritable environnement sonore et visuel); soit enfin
que la projection des images s'accompagne de la présentation d'objets
en trois dimensions (c'est le cas d'Anna LINDAL, qui place ses écrans
sur des étagères agrémentées de fanfreluches décoratives
et de photos).
Flâner dans cette exposition, c'est par conséquent
aller de surprise en surprise; et se laisser porter par des émotions
successives et inattendues. On naviguera du magistral mur d'images du précurseur
récemment décédé Nam June PAIK (étagement
de soixante-cinq écrans !) jusqu'à la très secrète «œuvre-objet » de
Tony OURSLER, valise ouverte servant de couche à une poupée
de chiffon, sur le visage vide de laquelle est projetée l'image mobile
d'une figure humaine. On reconnaîtra sans difficulté l'esthétique
très lente, très clean, très léchée, d'Annika
LARSSON (déjà exposée, l'an passé, au Magasin
d'en face); on s'étonnera devant les expériences de William
KENTRIDGE, entre l'imagerie médicale
et le film d'animation; on saluera l'inventivité (et l'humour) de David
CLAERBOUT, filmant simultanément de face et de dos une vieille dame
qui se balance sur son rockingchair, et projetant de façon synchrone
ces deux films sur le recto et le verso d'une même cloison. Et l'on
se montrera tout bonnement bouleversé par la beauté formelle
et l'ambiance prodigieusement onirique de Zarin, véritable film de
plus de vingt minutes signé par l'artiste iranienne Shirin NESHAT.
On vous l'avait bien dit: on entre un brin perplexe; on ressort lyrique,
fanatique, passionné.
Jean-Louis Roux