Review : vidéos et films Collection Pierre Huber
"La vidéo est une part de la création artistique"
Libération, Paris, 16 août 2006, p.24
Célèbre galeriste de Genève (en Suisse), Pierre Huber était,
jusqu'alors, également connu pour son importante collection d'art contemporain.
Composée d'environ trois mille œuvres, une partie a fait l'objet
en juin 2005 d'une exposition au musée des Beaux Arts de Lausanne.
On savait moins, en revanche, qu'il accordait depuis une dizaine d'années
une place importante aux installations vidéos et filmiques. Sur la
centaine d'oeuvres qu'il a acquises, seulement dix sept ont été choisies
pour cette exposition, de façon à être présentées
dans les meilleures conditions, selon les plans et les instructions mêmes
données par les artistes.
Répartie sur 1000m2, dans des espaces entièrement conçus
pour l'occasion, la sélection montre des pièces de grandes dimensions, à l'exemple
de la salle réservée à The Rocking Chair de
David Claerbout (22m de long sur 5 de large). On y trouve aussi d'autres
plus petites et plus proches de la sculpture (comme Whatever You Want de
Tony Oursler ou Main
Channel Matrix de Nam June Paik, composée de 65 écrans
de télévision) et d'autres encore tirant vers le cinéma
(Zarin de Shirin Neshat ou l'installation Borders d'Anna
Lindal, avec quatre télés
sur des étagères avec plantes vertes et objets divers). Au final,
au lieu d'être une succession de visionnages ennuyeux, la visite propose
une grande diversité d'approches et de formes et devient un vrai plaisir.
Comment vous êtes vous mis à collectionner des vidéos
?
J'ai toujours eu le virus de la collection et cette passion ressemble pour
moi au fait d'écrire un livre. Au fur et à mesure que l'art évoluait,
j'ai moi-même évolué. Dans ma philosophie de collectionneur,
j'ai toujours préféré découvrir des propositions
nouvelles plutôt que de revenir en arrière sur des oeuvres confirmées.
De même, je n'ai jamais acheté des artistes parce qu'il fallait
les acheter. En tant que marchand, je remarque que beaucoup de collectionneurs
sont plus influencés par leurs oreilles que par leur propre déduction.
Je me fie, moi, à ma propre approche, je m'intéresse aussi
bien à des artistes qui n'intéressent personne qu'à d'autres
qui intéressent tout le monde et j'assume mes choix.
Le fait de m'intéresser à la vidéo ne vient donc pas d'une
intention précise, spécifique. C'est l'activité de collectionner
qui m'a conduit vers elle parce que je considère l'art contemporain
comme un tout. Je ne dissocie pas la vidéo de la peinture, de la sculpture,
de la photo... Au même titre que ces dernières, elle est une part
de la création artistique d'aujourd'hui. Si demain une nouvelle discipline
apparaissait je m'y intéresserais de la même manière, parce
que c'est la qualité du travail d'un artiste qui me donne envie de le
collectionner, et non pas le médium qu'il choisit.
Qu'est ce qui vous a conduit à montrer ces oeuvres ?
La première fois qu'Yves Aupetitallot (le directeur du Magasin à Grenoble,
commissaire de la manifestation, ndlr) me l'a proposé, pour l'exposition
de Lausanne l'année dernière, je n'étais pas très
chaud parce que montrer sa collection au public, c'est bien autre chose que
de collectionner pour soi même. En outre, j'ai une relation très
intime avec les œuvres et j'ai un mal fou à m'en séparer,
même si je ne vis pas avec toutes au quotidien. Mais en exposer une partie,
cela m'a permis de les sortir des caisses et des dépôts, cela
m'a fait faire un pas supplémentaire pour réorienter la collection
et l'améliorer. J'ai d'ailleurs immédiatement procédé à de
nouveaux achats. C'est dans cette optique et dans cette ambition que j'ai eu
envie, cette fois, de montrer uniquement des vidéos et ce d'autant plus
que le Magasin s'y prêtait parfaitement. C'était pour moi l'occasion
de voir ces oeuvres dans des conditions idéales, comme je ne les avais
d'ailleurs encore jamais vues.
Comment vivez vous avec votre collection et en particulier avec les
vidéos ?
Je n'ai pas la place chez moi d'avoir plus de 30 ou 40 oeuvres en même
temps. Alors je stocke les autres. Ce qui revient à dire que la passion
de la collection est plus forte que celle d'être en face des oeuvres.
Cela étant, elles ont toutes une place dans ma tête. Et comme
j'aime tout ce que j'ai, je demande tous les deux mois à quelqu'un
de me changer l'accrochage, de façon à avoir chaque fois un effet
de surprise. Avec les vidéos, c'est un peu différent. J'ai un écran à la
maison et je les visualise dès que j'en ai envie. Mais j'ai beau adorer
les oeuvres que je possède, je pense toujours à la prochaine.
Recueilli par Henri-François Debailleux
(envoyé spécial Grenoble)