Review : vidéos et films Collection Pierre Huber



 

"A la recherche de la quatrième dimension"
Le Figaro et vous, Paris, 20 juillet 2006, p.28

La vidéo expliquée en 17 oeuvres contemporaines, grâce au parcours didactique de la collection Pierre Huber, exposée tout l'été au Magasin, à Grenoble.

De notre envoyée spéciale à Grenoble

MAMAN, comment ça marche une vidéo ? Le conte contemporain à trouvé son cadre, comme les petits trains qui foncent dans les recoins d'un grenier. La leçon opère avec une simplicité bon enfant sous la haute structure industrielle de 3 000m2 construite en 1900 par les ateliers de Gustave Eiffel pour les faubourgs de Grenoble et qui servit ensuite d'entrepôt (le mot MAGASIN, inscrit sur la porte métallique bleue, est devenu le logo de ce Centre national d'art contemporain).
En 17 vidéos de natures fort différentes, de l'ironie glamour de la Suisse Sylvie Fleury à l'Afrique du Sud poignante et politique de William Kentridge, la collection de Pierre Huber, marchand à la cour et collectionneur à la ville, restitue à ce médium, cher aux artistes contemporains, sa spécificité et son espace.

Entre émotion et fascination
Ni photographie, ni cinéma, ni télévision. Plutôt une quatrième dimension qui se joue de l'optique pour capturer d'autres sensations du réel comme le Minority Report de Spielberg où l'image est un piège. À l'instar de cette minividéo de Paul Pfeiffer qui niche à l'angle creux de deux murs. Y danse, sans un bruit, l'ombre furtive de Michael Jackson comme un papillon éphémère, fascinant et funèbre (Live Evil (Bucarest), 2004, installation vidéo, 2 canaux, 50 secondes en boucle, à peine 30 x 20 cm. À l'instar de la Rocking Chair de David Clearbout, artiste belge de Courtrai qui surprend toujours le spectateur par son art de faire ressentir le temps qui passe. Dans Untitled, Single Channel View il avait recréé l'image d'une classe des années 1910 figée pour l'éternité, où le jour filant sur la cour d'école et l'arbre solitaire en arrière plan redonnait subtilement vie. Ici, la vieille dame assise sur son Rocking Chair sous sa véranda à écouter les cigales, tourne la tête pour vous suivre lorsque vous contournez l'écran plat suspendu dans le noir (installation video, 2 canaux, capteurs interactifs).
«J'ai voulu rendre à chaque artiste son espace propre et j'ai donc installé les 17 oeuvres selon les directives précises de chacun», explique Pierre Huber, aussi enthousiaste que lorsqu'il est tombé en arrêt à la foire de Bâle ou à Chelsea (New York) devant ses dernières acquisitions. Ainsi le prisonnier mélancolique, grotesque emprunté au cinéma muet par le magique Rodney Graham, qui joue du piano comme on joue sa vie sur un dernier va-tout (A Reverie Interrupted by the Police, 2003, film 35 mm transféré en vidéo, 7 minutes 59 secondes). Puisant comme ses compatriotes David Cronenberg ou Atom Egoyan dans la pensée freudienne, l'artiste canadien, né en 1949 à Vancouver, est déjà au prestigieux MoMA (Museum of Modern Art de New York) avec Vexation Island où la névrose du personnage, condamné à répéter la même action, illustre le nouveau Sisyphe.

Ainsi, le hammam des délices qui devient chambre des supplices sous le regard aigu de la belle Shirin Neshat, artiste née à Qazvin, en Iran, star de l'art contemporain qui vit et travaille a New York (Zarin, 2005, film Super 35 mm transféré en vidéo, 20 minutes 30 secondes).
L'exposition au Magasin était déjà bouclée lorsque Pierre Huber est tombé en arrêt en mai, à Chelsea, devant la dramaturgie en technicolor de cette poétesse de la révolte qui met en images cruellement surréalistes l'enfermement des femmes et l'aveuglement des hommes en terre d'islam. La mise en espace de cette vidéo, projetée dans une petite pièce chez la galeriste new yorkaise Barbara Gladstone en mai, lui rend sa grandeur et tout son effroi.
Le recul, la pénombre ou la franche lumière, autant d'éléments indissociables des oeuvres qui forment des univers en elles-mêmes.
Ils fascinent, comme la sculpture vidéo du maître coréen Nam June Paik qui vibre avec David Bowie (Main Channel Matrix, 1993-1996, 65 écrans, un ordinateur). Ou émeuvent, comme la vidéo captive d'une valise qui résume l'enfance selon Tony Oursler, vidéaste né en 1957 à New York, qui fait bouger l'image comme l'oeil du Cyclope (Whatever You Want, 1995).

Valérie Duponchelle