Review : vidéos et films Collection Pierre Huber
"A Grenoble, une bonne façon de découvrir l'art vidéo"
Le Monde, Paris, 15 juillet 2006, p.19
Dix sept oeuvres de la collection du Suisse Pierre Huber sont présentées
au centre d'art Le Magasin dans un parcours conçu avec les artistes.
Les expositions d'oeuvres vidéo étaient, il y a peu, une rareté en
France. Voilà qu'elles se succèdent sans pour autant se
ressembler. Dévoilant une part de la collection du couple
Lemaître, la Maison rouge, à Paris, dessinait au printemps
un parcours fluide dominé par les variations du documentaire. Dans
une scénographie conçue avec les artistes, Le Magasin de Grenoble
obtient cet été un résultat tout autre en déployant
une partie de la collection vidéo de Pierre Huber : 17 oeuvres, choisies
parmi une centaine.
Timbres poste, petites voitures Dinky Toys, le galeriste genevois a été saisi
dès l'enfance de « collectionnite ». Aujourd'hui, il est à la
tête de quelques milliers d'oeuvres : photographies de Thomas Ruff
ou de Cindy Sherman, installations de Franz West ou de Mike Kelley...
La vidéo, qu'il appelle les « images lumineuses en mouvement »,
est sa passion
récente : une sorte de « peinture absente »,
selon lui. L'expression est à rapprocher des images mouvantes du Sud
africain William Kentridge, à découvrir en fin d'exposition.
Glissant en noir et blanc, les dessins semblent émaner des murs,
doucement animés comme une échographie.
La comparaison à la peinture ne résume pas tout. La vidéo
peut être expérimentation pionnière chez Nam June
Paik ou animation de marionnettes chez Tony Oursler. Elle est cinémascope
avec l'artiste d'origine iranienne Shirin Neshat, qui dénonce le statut
de la femme soumise au tchador à travers une prolifération de
décors,
une multitude de figurants et d'effets spéciaux. Hélas,
démonstration et émotion ne font pas toujours bon ménage.
La mise en scène s'avère efficace dans ses « effets de
montage », parfois saisissants. Quand la Suissesse Sylvie Fleury écrase
des boules de Noël du bout de ses infinis talons aiguilles (Strange
Fire, 2005), la Suédoise Annika Larsson joue d'une tension plus
sourde. Dans son film Fire (2005), des corps masculins se déploient,
menaçants.
Emeutiers ou terroristes, ils manipulent cocktails Molotov et fusils d'assaut
dans une lenteur irréelle.
Le karaoké de Candice Breitz
Une autre langueur empreint l'œuvre de David Claerbout. Une femme, au
seuil de sa maison, se balance sur un rockingchair. On la contemple quelques
instants, attendant on ne sait quoi. Mais rien n'advient. A moins que
l'on n'aille découvrir le revers de l'écran. Traversée
du miroir ? C'est la même femme, de dos. Devant elle, le paysage qui
nous échappait.
Le corps s'est réduit à l'infra mince de l'image.
Tout comme le visage de cette jeune fille qu'a capturé Rineke Dijkstra,
célèbre pour ses photographies d'adolescents. « Je
veux être
avec toi », murmure une chanson. Blondinette et gênée,
une gamine la susurre en play back ; elle hésite, bafouille, comme
prête à pleurer. Quelques minutes d'un karaoké malhabile
condensent les malaises de cet âge. On se souvient de l'autre karaoké,
orchestré par la Sud Africaine Candice Breitz, qui ouvre l'exposition.
Douze play back s'y affrontent. Une même mélodie, impossible à reconnaître à cause
de la cacophonie. Chaque personnage semble dépassé, un figurant
de sa propre vie. Et si, plus que des vidéos, l'exposition mettait
simplement en scène des corps dessaisis et leur terrible quête
d'identité ?
BÉRÉNICE BAILLY