Review : vidéos et films Collection Pierre Huber
"Collection Vidéo plastique"
Le Journal des arts, Paris, 23 juin au 6 juillet 2006,
p.11
Le centre d'art du Magasin à Grenoble propose une sélection
d'oeuvres vidéo issues
de la collection Pierre Huber : une promenade dans la plasticité du
pixel.
Point trop n'en faut !
Ce pourrait être la devise présidant à la tenue de cette
exposition qui présente une mince part de la collection vidéo du
galeriste et collectionneur genevois Pierre Huber. Mince, car sur la centaine
d'oeuvres vidéo que comprend sa collection, seules dix-sept sont présentées
au Magasin, le centre d'art contemporain de Grenoble. Et c'est tant mieux. Car,
ainsi que le reconnaît Pierre Huber lui-même, « il est
assez rébarbatif de voir une exposition de vidéos, donc autant
ne pas trop en montrer, ce qui permet aux gens d'assimiler au moins quelque chose».
La sélection serrée a permis d'installer les oeuvres, pour celles
qui le nécessitent, dans des espaces amples, tout en se conformant aux
dispositifs originaux conçus par les artistes. Ainsi l'angle où se
rejoignent les deux murs servant de support au captivant Trussed (1996),
d'Isaac Julien, est-il traité en courbe, avec des projections dont le
bord inférieur,
légèrement incurvé vers le haut, donnent une sensation de
décrochement et d'intrusion dans la salle. Très hypnotique tant
le rythme est lent et réglé, l'image en noir et blanc, léchée
et élégante, cette incursion dans un étrange ballet masculin,
aux relents de cuir et de SM, distille comme une beauté vénéneuse.
Quant à l'installation de Sturtevant, The Dark Threat
of Absence Fragmented and Sliced (2002), elle trouve dans un étroit
couloir l'emplacement idéal pour ses sept écrans plasma posés
sur socle, l'un derrière l'autre, qui donnent à l'œuvre une parfaite
cadence.
Les choix opérés par le directeur du lieu, Yves Aupetitallot, parviennent également à susciter
la curiosité, et poussent à rester devant certains travaux dont
le déroulé narratif en interroge les tenants et aboutissants. Dans
le film de Rodney Graham A Reverie Interrupted by the Police (2003),
il est impossible de quitter l'incongruité de cette action où un
bagnard menotté en costume
rayé joue sur scène du piano sous la surveillance d'un officier
de police. De même, le film de Shirin Neshat, Zarin (2005), qui
conte le rapport au monde et à la pureté d'une
jeune femme en proie à des hallucinations, captive en dépit de
sa durée (vingt minutes). Ces choix questionnent aussi la capacité de
réception du public. Ainsi Pierre Huber concède-t-il « être
intéressé par la réaction des gens qui n'ont
jamais de temps à consacrer à la vidéo ». Précisant « Quand
vous entrez dans la salle de Francesco Vezzoli, par exemple, vous êtes
obligé de voir la trilogie complète si vous voulez comprendre l'œuvre (An
Embroidered Trilogy, 1997-1999) ».
Retiendra également l'attention du visiteur le rapport ouvertement plastique
entretenu par le collectionneur avec l'image vidéo, lui qui note que « c'est
[sa] façon d'évoluer intellectuellement parce qu'[il] y trouve
une continuité avec la peinture ». Le genre du portrait apparaît
ainsi revisité dans le touchant Annemiek (I Wanna
Be With You) (1997),
de Rineke Dijkstra. L'artiste filme frontalement la magnifique gêne d'une
gamine un peu gauche, entonnant son air favori au cours d'une séance de
karaoké.
Matérialité et sensualité
Plusieurs oeuvres jouent par ailleurs sur la matérialité de l'image,
rendue très présente, concrète, intense. Dans Fire (2005),
d'Annika Larsson, ou The Rocking-Chair (2002-2003), de David Claerbout,
les grandes dimensions de la projection et la netteté de l'image replacent
le pixel en maître d'un dispositif qui organise le rendu visuel. Il
agit comme une touche conférant une qualité presque tactile à la
surface.
Plus loin, c'est l'aspect sculptural qui sera mis en relief, ainsi avec la valise
de Tony Oursler dans laquelle disserte un personnage (Whatever
You Want, 1995)
ou les étagères d'Anna Lindal supportant moniteurs et objets quotidiens
(Borders, 1999-2000).
La plasticité se matérialise enfin dans une certaine sensualité des
images, ce à travers une diversité de processus. Tandis que Nam
June Paik assemble soixante-cinq moniteurs en un vibrant mur d'images dont un
modèle nu occupe le centre (Main Channel Matrix, 1993-1996),
Maria Marshall fait faire des volutes de fumée à un enfant (When
I Grow up I Want to Be a Cooker, 1998). Sylvie Fleury laisse quant à elle
déambuler
les jambes d'une jeune femme sur un sol jonché de boules de noël,
rageusement écrasées avec ses talons aiguilles (Strange
Fire, 2005).
Pour Pierre Huber, qui avoue « une relation charnelle
avec l'art »,
la vidéo semble en effet être avant tout une affaire de plastique
voluptueuse.
Frédéric Bonnet