Review : vidéos et films Collection Pierre Huber
"Vidéodrome"
Les Inrockuptibles, Paris, 27 juin au 3 juillet 2006, p.76
OÙ VA L'ART VIDÉO ?
Réponse en grand et en large au Magasin
de Grenoble, avec la collection du galeriste suisse Pierre Huber.
D'abord question de format :
pour exposer au mieux une vingtaine d'oeuvres vidéo parmi l'énorme
collection d'art contemporain constituée par le boulimique galeriste
suisse
Pierre Huber, le Magasin s'est transformé en
un vidéodrome, soit un espace de déambulation
où la vidéo n'est plus cet art du pauvre diffusé
sur un petit "moniteur", mais pas non plus le
multiplexe du cinéma et ses séances à heures
fixes : "La vidéo est importante tant qu'elle développe
un langage qui n'est ni celui du cinéma ni celui de la télévision",
confiait Pierre Huber dans le catalogue de sa précédente exposition à Lausanne, Private
View 1980-2000.
Et de fait ces oeuvres montrent bien comment la vidéo dialogue avec la
peinture - à l'image du film quasi immobile de David Claerbout -, ou flirte
avec les formes de l'installation au gré des diffusions multi-écrans,
ou encore s'apparente à la sculpture dans les assemblages mobiliers d'Anna
Lindal. D'où sa capacité à réintégrer les
salons des collectionneurs: "L'écran prend la place de la peinture
ou de la photographie de grand format, les oeuvres utilisent un écran
de projection que la technologie pense de plus en plus décorative des
intérieurs privés", commente le directeur du Magasin,
Yves Aupetitallot.
Ensuite, question de multinationale: grand défricheur de la scène
artistique chinoise, Pierre Huber pense sa collection d'art contemporain à l'heure
de la mondialisation. D'où un regard panoramique large, où l'art
post-conceptuel d'un Jonathan Monk jouxte les films performatifs de Peili Zhang,
où la
féminité selon Annika Larsson n'a rien à voir avec l'orientalisme
de Shirin Neshat. Jointe au format gigantesque des espaces de diffusion,
cette préoccupation mondialiste donne soudainement au Magasin de Grenoble
l'allure d'une biennale, et de fait Pierre Huber est un grand arpenteur
des biennales d'Istanbul, de La Havane...
Mais aussi de la Biennale de Venise: question financière, donc. A la
fois marchand et collectionneur, comme de nombreux galeristes, l'étonnant
Pierre Huber circule avec aisance dans une économie où la production
et l'achat se côtoient, où exposition et spéculation font
bon ménage, où la monstration des oeuvres a valeur de démonstration.
Il a d'ailleurs largement participé au renouvellement de la Foire de
Bâle, ainsi qu'à son rapprochement formel et concurrentiel avec
la Biennale de Venise et l'on sait tout le poids des galeries dans la production
de cet événement majeur de l'art international.
Reste alors une question: est-ce au service
public, en l'occurrence ici au Magasin de Grenoble, de conforter le marché de
l'art dans ses
choix ? Son rôle n'est-il pas de proposer, sinon un contre-discours,
du moins un autre récit ? Exemple de cette large "concession" faite
par une institution publique au privé : l'absence remarquée
d'artiste français dans toute
l'expo - gage d'internationalisme ? Le constat admis d'une géographie économique
de l'art
contemporain.
Jean-Max Colard